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rompit Guezevern, nous nous portons tous assez bien, grâce à Dieu, et je suis content de vous voir quoique… »

Il s’arrêta, songeant aux recommandations de son Éliane.

« Quoique ?… répéta la douce voix de Renaud.

— Le diable me confonde, pensa maître Pol, si je sais pourquoi Éliane, qui est si douce et si charitable, a pris en grippe ce pauvre garçon-là ! »

Pendant qu’il songeait ainsi, ce coquin de Mitraille glissa par derrière, à son oreille :

« Prenez garde ! Il n’a pas meilleure renommée qu’autrefois. Le mieux serait de passer notre chemin. »

Renaud, cependant, poursuivait :

« Comme cela se trouve ! j’allais justement partir pour le château de Vendôme, afin de vous communiquer certains renseignements qui vous seront utiles pour votre gouverne. Il y a ici un M. de Montespan qui est sur la même ligne que vous pour l’héritage du comte de Pardaillan. Il l’affirme du moins, et prétend qu’il saura bien vous primer au bon moment, par les intelligences qu’il entretient auprès du bonhomme.

— Mon compagnon, répliqua Guezevern, il y a tant de bons vivants entre nous et l’héritage de M. le comte, que nous avons tout le temps de réfléchir ! Je ne viens que le cinquième.

— Monsieur mon ami, dit Saint-Venant en lui serrant les mains de nouveau, vous le prendrez comme vous voudrez ; mais j’ai cru devoir vous prévenir, par la grande affection que j’ai pour vous.

— Et je vous dis merci, de tout cœur, Saint-Venant ! s’écria maître Pol. Vous valez mieux que votre renommée.

— Non pas, tête-bleu ! pensa ce coquin de Mitraille. Sa renommée, si méchante qu’elle soit, vaut encore mieux que lui ! Et je parie qu’il médite quelque mauvais tour contre M. l’intendant, qui ne voit jamais plus loin que le bout de son nez, quand sa femme n’est pas là. Nous veillerons. »

Mitraille avait bonne intention, mais il aimait terriblement le vin épicé.

« Je vous prie, Saint-Venant, mon ami, poursuivit Guezevern, sauriez-vous me dire où M. le duc s’en est allé hier au soir ? »

L’écuyer de Mme la duchesse prit un air mystérieux.

« Il y a anguille sous roche, répondit-il en jetant du côté de Mitraille un regard significatif ; dites-moi dans quelle partie de l’hôtel vous allez choisir votre logis, mon digne ami, et j’irai chez vous vider mon sac aux confidences.

— Sur ma foi ! s’écria Guezevern avec quelque mauvaise humeur, il paraît qu’aucune partie de l’hôtel de Mercœur n’est bonne pour l’intendant de la maison, car me voici, moi et mes porteurs, en quête d’une auberge… »