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Pendant la première partie du chemin, Guezevern ne voulut parler que de sa femme et de son fils. Sa femme était la plus belle et la meilleure qui fût ici-bas ; l’univers entier ne contenait point un garçonnet comparable à son fils : il les aimait, il les adorait.

Sur ce sujet, comme sur tous autres, ce coquin de Mitraille lui donnait volontiers la réplique, disant de temps en temps :

« L’enfant est joli, la dame est fraîche et son vin est galant, ou que je sois damné, monsieur de Guezevern ! »

À la longue, cette déclaration judicieuse, mais monotone, jeta un peu de froid sur l’enthousiasme de maître Pol.

Une heure après le lever du soleil, quand la cavalcade eut dépassé Châteaudun, et qu’on fut à l’ombre des peupliers, sur les bords du Loir, étroit et clair comme un ruisseau, maître Pol demanda tout à coup :

« Holà ! coquin de Mitraille, Paris a-t-il toujours le diable au corps ?

— Oui bien maître, repartit l’écuyer. C’est éternel comme la colique de M. le duc, notre seigneur.

— Y fait-on encore l’amour ?

— Du matin jusqu’au soir, du soir jusqu’au matin !

— Yjoue-t-on ?

— Un jeu d’enfer !

— Et le surplus ?

— À l’avenant, mon maître. L’argent est rare. Le roi demande à M. le cardinal la permission de dormir avec sa femme ; il force ses favoris à faire ronfler des toupies d’Allemagne : c’est un grand prince, assurément. M. le duc de Buckingham déclare la guerre à la France, pour venir souhaiter le bonjour à madame la reine, qui passe sa vie à écrire des petits billets en langue espagnole. Madame la reine mère se mord les doigts jusqu’au coude par la contrition qu’elle a d’avoir inventé le cardinal ; le cardinal la moleste du mieux qu’il peut, sans doute par reconnaissance.

« De temps en temps, on coupe le cou d’un grand seigneur pour n’en pas perdre l’habitude. Le peuple n’y voit point de mal ; la province crie, Paris chante, et la famille de Richelieu arrondit sa pelote.

— Et M. de Vendôme ? interrogea Guezevern.

— M. de Vendôme met son ventre sur une chaise et dit que le diable rouge l’empoisonne sept fois par semaine depuis tantôt neuf ans. Il regrette son gouvernement de Bretagne, il se fourre dans toutes les conspirations ; Mme de Chevreuse l’a mené par le bout du nez, puis ce fut Baradas, puis le petit chevalier de Lorraine qui court les ruelles, déguisé en fillette. Ceux qui ont tué M. le grand prieur laissent vivre M. le duc, et ils savent bien ce qu’ils font. »

Tels furent, à peu près, les seuls renseignements politiques que ce coquin de Mitraille sut donner à Guezevern.