Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Maître Pol froissait machinalement la lettre qu’il venait de recevoir.

« De quoi est mort M. le grand prieur ? demanda-t-il.

— De maladie, répondit Éliane ; une maladie singulière à laquelle les médecins n’ont rien compris. »

Guezevern dit après un silence :

« Les médecins ne comprennent jamais rien aux maladies de ceux qui combattent M. le cardinal. »

Éliane le regardait d’un air inquiet.

« Pourquoi avez-vous parlé de revoir Paris, Guezevern ? » interrogea-t-elle presque timidement.

Maître Pol lui tendit la lettre qu’il avait eu tant de peine à lire, et qui était ainsi conçue :

« Monsieur de Guezevern.

« M. le grand prieur, mon très-cher frère et moi, nous souhaitons de savoir à quoi sert un intendant honnête homme. En conséquence, nous vous donnons ordre de rassembler immédiatement notre épargne, qui doit dépasser, à notre estime, cent cinquante mille livres tournois, et de nous l’apporter, de votre personne, en notre hôtel de Mercœur, sous trois jours de la présente missive reçue.

« Je prie Dieu qu’il vous tienne en sa garde.

« Par César, duc de Vendôme,
« LOYSSET, prêtre. »

Au-dessous de ces lignes, quelques mots d’une écriture informe trouvaient place et disaient :

« Bonjour, Bas-Breton, Tête-de-Bœuf, j’ai toujours la colique. »

Et au-dessous encore, il y avait une croix, entourée de trois ou quatre pâtés d’encre qui formaient, les pâtés et la croix, le propre parafe de M. de Vendôme.

Éliane fut presque aussi longtemps à lire la lettre que maître Pol lui-même.

Elle réfléchissait en lisant.

« Il n’y a pas à hésiter, dit-elle enfin, il faut partir.

— C’est mon avis, douce amie, répliqua l’intendant.

— C’est votre envie surtout, Pol, mon bien-aimé Pol ! murmura Éliane, et Dieu veuille qu’il ne vous arrive point de mal ! »

L’intendant sourit et prononça dans sa barbe :

« Paris et moi, ma chère, nous nous connaissons de reste ! »

Éliane secoua sa tête charmante.

Et comme son mari l’interrogeait du regard, elle essaya de sourire, mais elle ne put.

« Promettez-moi, lui dit-elle, que vous prendrez vos quartiers chez notre bonne tante et amie, dame Honorée de Pardaillan-Guezevern.

— Un gentilhomme chez une béguine !… » commença, maître Pol.

Mais il se reprit et ajouta :