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enfant heureux et charmant s’appelle Renaud ? Les avis changent en vieillissant et l’on apprend à mieux connaître les hommes. Maître Pol n’était pas encore bien vieux, puisqu’il atteignait à peine sa vingt-quatrième année, mais une charge aussi importante que la sienne donne de la prudence et de la gravité. Maître Pol avait apprécié à la longue l’excellent caractère de ce certain Renaud de Saint-Venant, écuyer second de Mme la duchesse de Vendôme, que nous avons vu jouer un rôle assez court et très-désagréable dans les premiers chapitres de ce récit.

Ce Renaud de Saint-Venant était à tout prendre compagnon joyeux, obligeant et de bon conseil. Maître Pol s’était fait son ami, dès la première année du mariage, malgré quelques préjugés, gardés par la gentille Éliane. Renaud de Saint-Venant était le parrain du fils unique de Guezevern, au lieu et place de M. de Vendôme lui-même.

Nous mentionnons d’autant plus volontiers le désaccord qui avait régné entre maître Pol et sa jeune femme à propos de Renaud de Saint-Venant, que ce désaccord était une exception plus rare. Jamais, depuis que la terre tourne, meilleur ménage n’exista sous le ciel. Maître Pol n’avait qu’un chagrin, c’était de voir son fils courir tout seul dans les vastes allées du parc. Il eût voulu près de lui une chère petite fille qu’il avait nommée d’avance Éliane — mais qui ne venait point.

Maître Pol était heureux, si heureux qu’il s’ennuyait peut-être un petit peu dans son bonheur. Éliane, qui voyait tout, s’était aperçue plus d’une fois que les yeux de son mari brillaient étrangement aux souvenirs de Paris et des chères misères de son existence de page.

C’était une fée que noire Éliane, nous l’avons dit déjà, et nous en aurons de surabondantes preuves, mais les fées elles-mêmes ne peuvent rien contre ce terrible ennui qui naît de l’excès du bonheur.

Ce n’est pas que Guezevern eût une vie inactive. Il était obligé à de fréquents voyages pour inspecter les immenses biens de Vendôme et de Mercœur, situés dans diverses provinces fort éloignées les unes des autres. En outre, il avait les plus belles chasses de France à sa disposition et des équipages de prince.

Mais Paris lui manquait.

Il y a des gens qui ne se guérissent jamais de la mémoire de Paris.

C’est là une nostalgie toute particulière, et qui ne fait pas toujours l’éloge du malade. Ces amoureux de Paris ont généralement dans leur passé d’innombrables fredaines qu’ils regrettent et voudraient bien recommencer. Nous n’avons pas à le cacher, puisque nous l’avons dit dès la première page de ce récit : maître Pol avait eu une jeunesse fort peu méritoire. La maison de M. de Vendôme était plus perdue que l’enfer, et maître Pol avait conquis une légitime répu-