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une goutte. Ventre-saint-gris, cela réchauffe le diaphragme !… j’en prendrai un ou que la peste m’étouffe, j’entends un intendant honnête homme. J’en prendrai deux, trois, quatre ! M. le grand prieur me l’a conseillé, et M. le grand prieur a toujours été le plus avisé de la famille, après moi.

— Vous sentez-vous mieux, monseigneur ? demanda Maître Pol, enchanté du succès de sa potion.

M. de Vendôme, au lieu de répondre, entonna une chanson gaillarde, d’une voix si mâle et si vibrante que les vitres tremblèrent.

« Donne une goutte, Tête-de-Bœuf ! commanda-t-il au milieu du couplet. Mon père était un huguenot, ventre-saint-gris, avant d’aller à la messe. Il y a du bon dans tout, même dans ta médecine, qui est faite avec du brandevin, Breton de Quimper-Corentin. Je crois que je sauterais par la fenêtre sans me faire mal à la plante des pieds ! sarpegoy ! je ris bien des nigauds qui ont la colique ! Où est-elle, la colique ? nargue de la colique ! »

Il avait la face écarlate et les yeux hors de la tête.

Le ravissement de Maître Pol tournait déjà à l’inquiétude.

« Monseigneur, dit-il, si vous m’en croyez, vous n’abuserez pas de mon spécifique ; c’est un remède très fort…

— Veux-tu le garder pour toi, méchant baragouineur ? s’écria le duc avec une colère soudaine et si violente que les veines de son front se gonflèrent. Qu’on aille quérir madame la duchesse, afin qu’elle voie son époux bien en point ! Qu’on aille chercher mes deux fils, Mercœur et Beaufort ! Vive Dieu ! Je veux faire avec eux une partie de barres coupées. Donne une goutte, Sarrazin, ou la colique va me reprendre ! Ah ! ah ! saints apôtres ! Un intendant honnête homme ! Il nous en faut un puisque tel est l’avis de M. le grand prieur ! et nous verrons ce que ce diable rouge de Richelieu a dans les veines… oui ! verse, mon mignon… hein ? suis-je assis sur une trappe ? le sol s’affaisse ! la terre tourne… miserere mei, domine ! Bonsoir les voisins ! je crois que je trépasse ! »

Les couleurs rubicondes avaient abandonné sa joue. Il était devenu tout à coup plus pâle qu’un mort.

Maître Pol s’agenouilla près de lui et promit à Mathieu Barnabi un bon coup d’épée dans la bedaine pour une si noire scélératesse.

« Monsieur le duc, mon cher maître ! s’écria-t-il en le serrant dans ses bras. C’est la meilleure officine de Paris. Madame la reine mère y achète toutes ses drogues.

— Scélérat ! scélérat ! gronda César d’une voix faible, tu as donc été payé par la Médicis ? C’est donc du feu de Florence que j’ai dans les entrailles ? Attends ! je vais te tuer ! »

Il s’échappa des mains de son page, et chercha à son