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— Monseigneur, dit-il, vous reposeriez plus commodément dans votre lit.

— À boire ! balbutia le duc. Est-ce toi, coquin de Mitraille ! Va dire au maître barbier du roi que s’il ne me guérit, je lui donnerai de mon épée au travers de la panse ! va !

— Monseigneur, reprit maître Pol, c’est moi, Guezevern.

— Ah ! ah ! fit le duc en soulevant son front, qui retomba lourdement. C’est différent. Toi, tu seras pendu haut et court ! »

Il ajouta comme on parle en rêve :

— Plait-il, monseigneur ? demanda maître Pol.

— Tête-de-Bœuf ! gronda le duc. Bas-Breton ! âne bâté ! Judas ! Anglais ! oison bridé ! ne cherche pas à comprendre ce qui est au-dessus de ta portée. J’aimais mieux M. de Luynes, quoiqu’il fût de bien piètre maison. Il avait au moins du respect et de la politesse. Je l’aimais mieux que ce croquant dont ils ont fait un cardinal. Qui donc m’a dit cela ? Saint-Sépulcre ! tous les démons d’enfer sont dans mes boyaux ! Penses-tu qu’on puisse mourir de la colique, toi, Tête-de-bœuf ! Breton de malheur ! le penses-tu ?

— Du tout, point, monseigneur, repartit maître Pol, ayez bon courage. »

Disant cela, il tirait de sa poche la fiole de Mathieu Barnabi, pensant :

« Huit gouttes pour un homme fort, seize pour un cheval, vingt-quatre pour M. de Vendôme !

— Ah ! ah ! malandrin ! s’écria le duc avec une colère sans motif, tu me dis d’avoir du courage ! Sais-tu ce qu’on fait aux méchants railleurs quand on est duc et pair, et fils aîné d’un monarque, par le saint nom du Christ ? Le sais-tu ?

« Et sais-tu, reprit-il, laissant tourner sa pensée au vent d’une puérile démence, sais-tu que la nouvelle Éminence a les deux reines dans son giron ? La vieille reine qui nous déteste, parce que notre mère Gabrielle fut sa rivale heureuse ; la jeune reine, parce que je l’ai insultée, moi, pauvre innocent, au lieu de lui chanter fleurettes. Veux-tu ma croyance, Breton bretonnant, âne asinant, je meurs assassiné par une de ces péronnelles ou par ce prêtre rouge qui est Astaroth en personne. Il en assassinera bien d’autres, va, mon fils. »

Il se prit le front à deux mains, ajoutant d’un ton lamentable :

« Et où diable trouver cet intendant honnête homme ? »

Maître Pol avait pris un gobelet et l’avait lavé à grande eau.

« Est-ce pour me donner à boire ? demanda le duc.

— Oui, certes, monseigneur, répliqua le page, continuant sa besogne ; c’est pour vous donner à boire.

— Alors, c’est bien, Tête-de-bœuf, murmura le duc. J’ai toujours dit que tu étais un gentilhomme ! D’abord, j’aime les Bretons de la Basse-Bretagne. Tu