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deux reines et Richelieu avaient l’idée, un beau matin, de vous planter à Vincennes.

— À Vincennes, moi ! ventre-saint-gris ! on ne doit pas l’avoir plus maligne en enfer ! »

Sous-entendu : la colique.

« Vous êtes plus riche que Rohan, poursuivit le prieur. Avec vos revenus du Vendômois, vos biens picards et vos domaines de la Sologne, joints à vos dîmes de Bretagne et aux dons fixes du roi, avec l’immense fortune de madame la duchesse, ma sœur, unique héritière de la maison de Mercœur, vous avez un état plus considérable que M. le prince. L’argent est puissant, même contre le diable. »

César poussait des hélas à fendre l’âme. M. le grand prieur n’y prenait garde nullement et continuait :

« Avec un intendant honnête homme, habile, entendu, adroit et sévère, en deux ans vous pouvez amasser de quoi lever une armée. Voilà ce que je voulais vous dire, monsieur mon frère ; je suis fort aise de m’en être souvenu. Ce n’est pas plus malaisé que cela : prenez un intendant honnête homme, à défaut de quoi vous resterez sans vert en cas de bonheur comme en cas de malchance. Et sur ce, monsieur mon frère, que Dieu vous ait en sa garde ! je retourne à la maison où M. de Roquelaure m’attend pour voir si nous n’avons point fait erreur, cette nuit, en goûtant notre claret nouveau. »

Il salua son aîné fort respectueusement, comme il le devait et sortit, marchant de ce pas trop grave qui trahit la crainte de chanceler.

Avant de passer le seuil, il dit encore et d’un ton d’oracle :

« Sarpejeu ! monsieur mon frère, déjeuner m’a fait plaisir. Je sens que je dînerai de bon cœur. Prenez un intendant honnête homme ! »