Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Par fortune, Renaud était chez lui, en train de plastronner avec son épée pour s’entretenir la main.

Il n’avait pas probablement la conscience bien tranquille et savait ce qui lui pendait à l’oreille.

C’était un garçon de gracieuse tournure, trop blond, trop mince, trop joli et qui ne méritait nullement la qualification de « méchant singe » à lui appliquée par notre héros.

Méchant, il se pouvait, mais singe c’était injuste.

Il avait l’air doux et souriant, la barbe soyeuse, l’œil un peu incertain. Il pouvait compter une ou deux années de plus que maître Pol, qui avait la tête au-dessus de lui.

Au bruit de la porte qui tombait, désemparée, il se retourna et se mit en garde à tout hasard. Ce n’était peut-être pas le plus vaillant garçon du monde, mais chacun, en ce temps-là, était habitué à payer de sa personne.

« Que viens-tu faire chez moi, Guezevern ? demanda-t-il en plantant la pointe de son arme droit entre les deux yeux du page.

— Tiens ! fit celui-ci, te voilà justement comme je voulais, Renaud de Saint-Venant, lâche domestique de femme, dénonciateur, menteur et poltron ! Sur ma foi, je n’aurais pas osé te donner les étrivières, si tu n’avais eu l’épée à la main ! »

Renaud devenait livide pendant que l’autre parlait, droit devant lui et les bras croisés sur sa poitrine.

« Prends garde ! » menaça-t-il en serrant convulsivement la garde de sa rapière.

Maître Pol ne dégaina point.

Il fit un pas. Saint-Venant, sans se fendre, allongea le bras violemment et lui porta un coup droit en plein visage.

Maître Pol passa sous l’épée, si près que l’arme fouetta ses cheveux. Il saisit l’écuyer à bras-le-corps et le terrassa comme il eût fait d’un enfant.

« Pitié ! ami Guezevern, s’écria Saint-Venant, qui tremblait. Chacun sait bien que tu es plus fort que moi. Expliquons-nous. Te voyant si fort en colère, mon premier mouvement a été de me défendre… »

Sa voix s’étrangla. Le page le tenait à la gorge.

« Relève-toi ! ordonna celui-ci, et à genoux ! Je te donne à choisir, ou bien je vais te fendre le crâne avec ta propre rapière qui est celle d’un coquin, ou bien je vais appeler tous nos camarades et te fouetter à nu avec ton ceinturon. Lequel te convient le mieux, couleuvre ? Sois franc pour la première fois de ta vie, et ne fais pas de compliment ! »

Afin que Saint-Venant pût répondre, maître Pol lui lâcha la gorge un peu.

« Ami Guezevern, dit-il, vous me jugez mal, et je confesse le tort que j’ai eu de m’être mêlé d’une chose qui ne me regardait point ; si vous voulez-vous casser le cou, vous êtes le maître. Ah ! je veux mourir, si l’on me reprend jamais à rendre des services pareils ! »