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Dame Honorée, la bonne chrétienne, était plus qu’à demi convaincue. Néanmoins, elle ne dit ni oui ni non. Elle voulut voir l’enfant que son neveu avait recueilli, la nuit, dans les rues de Paris, en courant le guilledou avec M. de Vendôme.

Maître Pol ne fut pas déconcerté le moins du monde. Seulement, quand dame Honorée lui dit :

« Allons, mon neveu, apportez-la moi. »

Il répondit :

« Oui bien, ma tante, nous allons vous l’amener sur l’heure. »

Et, par le fait, après une absence de quelques instants, il parut dans l’oratoire de sa tante avec cette grande et belle jeune fille de treize ans, qui paraissait en avoir quinze.

À sa vue, la dame Honorée de Guezevern-Pardaillan recula, stupéfaite et scandalisée.

« Neveu, dit-elle, en se signant et avec une indignation profonde, en es-tu à ce point de perversité ? as-tu voulu te moquer de ta meilleure amie ? »

Maître Pol, cette fois, lui répondit gravement et en la regardant aux yeux :

« Madame ma tante, je fais ce matin avec vous ce que je ferais avec ma noble et chère mère, si le pays de Quimper n’était au bout du monde ; je vous ai dit la vérité : j’ai adopté cette enfant, et, par le nom de Dieu, elle ne sera point abandonnée ! Vous êtes seule, ses parents sont morts. Je la sais pure, je la crois noble. La Providence la jette dans vos bras, il ne faut jamais, madame, refuser ce que donne la Providence.

— Jésus ! Jésus ! murmura la béguine, je ne t’avais jamais vu ainsi, Pol, mon neveu. Te voilà un homme, assurément, et tu parles comme un livre… mais qui me répondra de cette jolie fille-là ? »

Ce disant, elle tourna ses yeux vers Éliane qui avait les paupières baissées, mais la tête haute. Éliane était très-pâle. Son pauvre cœur battait bien fort dans sa poitrine, car elle avait honte et frayeur.

« Madame ma tante, répliqua le page, elle souffre, vous voyez bien cela, car vous avez encore vos yeux de femme. Ne l’humiliez pas aujourd’hui, puisque vous l’aimerez demain. Ne laissez rien dans son âme que le souvenir de votre bonté et de votre confiance. Regardez madame ma tante, Éliane, je vous prie. »

La jeune fille obéit, et ses paupières, en s’ouvrant, laissèrent couler deux belles larmes.

Dame Honorée lui tendit la main.

« Venez çà, mignonne, lui dit-elle, et n’ayez point frayeur. »

Les genoux d’Éliane fléchirent et sa tête charmante, comme si elle eût cherché un abri, toucha le sein de la bonne dame.

« Affaire conclue ! » s’écria le page qui se détourna pour essuyer d’un revers de main ses yeux mouillés.

Dame Honorée qui effleurait d’un baiser le front d’Éliane, se redressa, prise d’un reste de défiance.