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il me paraît que vous y entendez malice. Donc, expliquons-nous, s’il vous plaît. L’enfant que j’ai adopté était tout fait. »

La béguine avait un éventail qu’elle mit au-devant de ses yeux.

« Monsieur mon neveu, ordonna-t-elle sévèrement ne prononcez aucune parole que je ne puisse entendre !

— Merci de moi, ma tante ; vous entendez trop bien, et vous cachez vos beaux yeux pour qu’on ne les voie point sourire. Ne sais-je pas que vous êtes la meilleure comme la plus jolie ? »

L’éventail tomba pour servir à un petit geste menaçant, mais souriant.

Maure Pol n’était pas un Breton si bretonnant que M. de Vendôme voulait bien le dire.

De fait ? quelques années en-çà, ce mot : « La plus jolie » aurait fort bien pu être appliqué à dame Honorée.

Et quant à cet autre mot : « la meilleure, » c’était, en vérité, une digne et brave dame. Les créanciers de maître Pol le savaient bien.

« Voyons, fit-elle, expliquez-vous. Qu’est-ce que c’est que cette nouvelle folie ?

— Ce n’est pas une folie du tout, madame ma tante, repartit le page. Écoutez-moi seulement et vous verrez. Je suis dans une maison de perdition, ici, chez M. le duc.

— À qui le dites-vous, mon neveu !

— Officiers, pages, valets, tout le monde y suit l’exemple du maître…

— Et vous tout le premier, malheureux enfant.

— Dans un pareil repaire, que voulez-vous qu’un pauvre garçon comme moi fasse d’une innocente ?

— Ah ! l’interrompit madame Honorée, c’est une enfant du sexe féminin.

— Belle comme une nichée d’amours.

— La beauté est un don fatal ! soupira la béguine.

— Vous devez le savoir, ma tante, dit tout bas maître Pol, qui lui baisa le bout des doigts galamment.

— Est-elle au maillot ?

— Pas tout à fait… mais ne m’interrompez plus, car M. de Vendôme pourrait me rappeler, et je tâche de remplir près de lui mon devoir de mon mieux.

— Bien vous faites, mon neveu… quel âge a-t-elle ? »

Au lieu de répondre, maître Pol poursuivit avec volubilité :

— C’est une âme à sauver, ni plus ni moins. Dans cette maison-là, il n’y a pas un coin qui n’appartienne à l’enfer. Si vous saviez… Mais le ciel me préserve d’offenser la chasteté de vos oreilles ! Je me suis dit tout de suite : il y a un ange, tout près de ce purgatoire. À deux pas de ce trophée d’iniquités, il y a un pur et virginal tabernacle. Comme quoi, madame ma tante, il faut me relever de mon adoption et prendre ma petite fille pour vôtre… c’est la loi de Dieu qui le veut ! »