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« Je vous achète. »

Renaud pensait déjà :

« Elle ne s’attend pas au prix que je lui demanderai ! »

Il y eut entre eux un long silence, et ce fut la jeune femme qui le rompit.

« Je veux le voir, » murmura-t-elle.

Renaud sentit le danger d’une objection, si plausible qu’elle fût. En jouant son va-tout, du reste, il risquait tout au plus d’être accusé d’une erreur.

« Je suis prêt à vous conduire, madame la comtesse, répliqua-t-il, quoique ce soit un lamentable spectacle. »

Ils sortirent. L’aube commençait à poindre dans les rues solitaires. Quand Renaud souleva le drap qui recouvrait le corps, la chambre était déjà vaguement éclairée par les premiers rayons du matin.

Un cri s’étouffa dans la poitrine d’Éliane, un cri d’indicible horreur.

Elle avait deviné le visage absent entre ces beaux cheveux blonds qu’elle avait tant aimés, et les vêtements qu’elle ne pouvait méconnaître.

Elle rejeta elle-même le drap et se mit à prier silencieusement.

« Irai-je quérir un prêtre ? » demanda Saint-Venant.

Éliane fut longtemps avant de répondre.

« Monsieur le comte de Pardaillan, mon mari n’est pas mort, dit-elle enfin. Tant que je vivrai il sera près de moi. »

Ce jour-là même, Mathieu Barnabi, drogueur de la reine-mère, fut chargé de pratiquer l’embaumement.

Quinze jours après, le comte et la comtesse de Pardaillan faisaient leur entrée solennelle dans ce beau château du Rouergue qui avait empli jadis de rêves dorés la jeune imagination de maître Pol. Chaque famille possède ainsi sa huitième merveille du monde, et qui d’entre nous, aux jours de son enfance, n’a écouté l’œil élargi, le cœur ému, la féerique description de quelque château en Espagne : regrets amers du passé ou joyeuses ambitions de l’avenir ?

Quand on parlait des magnificences de Pardaillan, là-bas, dans le pauvre évêché de Quimper sous le manteau de la cheminée, au vieux manoir de Guezevern, il semblait que ce fût le paradis terrestre. Il y avait alors quatre jeunes gens, robustes et bien capables d’attendre longtemps la succession du vieux comte.

Maintenant les quatre jeunes gens étaient morts, et le dernier d’entre eux avait quitté volontairement la vie, sans se douter de la grande fortune qui lui tombait du ciel.

Il s’était tué, parce qu’il se croyait pauvre ; il s’était