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Elle ne demandait plus pourquoi cette main de fer lui avait étreint le cœur.

« Il avait joué ? demanda-t-elle encore.

— Bien malgré moi, répondit Renaud. Je fuis le jeu comme la peste, ma noble dame : j’ai vu tant de malheurs ! Mais en arrivant à Paris, maître Pol était comme un cheval échappé…

— Ne dites rien, contre M. le comte de Pardaillan ! commanda sévèrement Éliane.

— Que Dieu et les saints m’en préservent ! Depuis que j’ai l’âge de raison, je n’ai point connu une meilleure âme. »

Il s’arrêta parce que Éliane le regardait en face.

« C’est contre M. le baron de Gondrin-Montespan qu’il a joué et perdu ? » interrogea-t-elle.

Renaud balbutia une réponse équivoque.

« Je sais que vous êtes aux gages de M. le baron, ajouta froidement Éliane. Je viens d’un lieu où l’on vous connaissait bien tous les deux.

— Que je sois puni éternellement !… » commença Renaud.

Elle l’interrompit d’un geste impérieux.

Renaud se tut ; mais, pour la première fois, il rougit de colère.

« Dites-moi ce que vous savez, fit-elle.

— Noble dame, repartit Renaud, n’ayant point réussi à retenir mon ami infortuné !

— Je suis comtesse, dit-elle, donnez-moi le titre qui m’appartient.

— Si mes vœux étaient exaucés, vous seriez reine ! déclama Saint-Venant. Donc, noble comtesse, n’ayant pu empêcher mon malheureux ami de se rendre à cette maison infâme, je ne lui épargnai point les reproches, ce qui le portait à se cacher de moi. Nous nous séparâmes froidement, hier au soir, et c’est seulement lorsqu’il a pris la résolution d’attenter à ses jours qu’il s’est souvenu du compagnon de son enfance pour lui confier ses dernières volontés. Il vint à mon auberge, aujourd’hui, car j’avais pris une chambre à l’hôtellerie pour lui céder mon propre logis. Il vint chez moi vers les cinq heures de relevée, et il était si changé que j’eus peine à le reconnaître.

« Il me dit : Renaud, mon meilleur camarade, mon seul ami, j’aurais bien dû suivre tes conseils. J’ai manqué à mon devoir et il faut que je quitte la France où il n’est plus pour moi d’honneur ni de sûreté. Voici deux plis, l’un pour Mme Éliane, ma femme, l’autre pour M. de Vendôme, mon seigneur. Me promets-tu de n’en point prendre connaissance avant neuf heures de nuit ?

— Où sont ces plis ? » demanda Éliane.

Renaud les tira de la poche de son pourpoint.

« Ils n’étaient point scellés ? fit la jeune femme avec défiance.

— Madame la comtesse, répliqua Saint-Venant,