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Il n’était pas possible que maître Pol n’eût point compris. Dans cette langue particulière dont tout couple bien uni fait usage, et qui est comme l’argot du bonheur, Éliane venait de dire clairement et explicitement : Dieu a exaucé nos ferventes oraisons ; je vais être mère !

Et regardant comme accompli déjà le côté problématique de son désir, elle laissait entendre que son petit Renaud allait avoir une sœur.

En conscience, ce pauvre Saint-Venant ne pouvait deviner tout cela.

Éliane réfléchissait déjà en peignant à pleines mains sa magnifique chevelure ; pour elle réfléchir c’était comprendre.

Elle était fée. Une main d’acier lui étreignit le cœur.

Mais elle ne perdit pas son sourire, mais elle garda tout son sang-froid en face d’un danger dont elle ne pouvait encore mesurer l’étendue.

Le danger existait, voilà le fait certain. Éliane se pencha vers le miroir, comme pour mieux nouer sa coiffure, et chercha l’alcôve dans la glace. Saint-Venant avait disposé les rideaux de manière à masquer la lumière de la lampe, placée, comme elle l’avait été par lui, à l’autre bout de la chambre ; mais Éliane avait dérangé la lampe.

Par l’interstice des rideaux, une lueur pénétrait dans l’alcôve et frappait le visage de Renaud, que son trouble faisait désormais inattentif.

Ce trouble allait grandissant ; il était composé d’émotions diverses. Renaud avait peur, mais, en même temps, une ivresse voluptueuse lui montait au cerveau. Cette femme était la seule peut-être qui eût jamais mis du feu dans ses veines. Depuis qu’il était homme, il l’aimait, il l’adorait. Sa haine contre Guezevern, qui durait depuis des années, et qu’il avait patiemment couverte du voile de l’amitié, n’était que de la jalousie.

Et cette femme allait lui appartenir ! Elle était là, laissant tomber un à un ses voiles et montrant des trésors de beauté que la passion même de Renaud n’avait point rêvés.

Il avait peur, mais ce n’était pas la peur qui embarrassait son souffle dans sa poitrine et faisait battre ses tempes mouillées. Ce n’était pas la peur qui l’arrachait à demi de son lit, le cou tendu, l’œil avide et ardent…

Ce fut ainsi que le regard furtif d’Éliane le trouva dans le miroir et le reconnut.

Il n’y eut point en elle de surprise : c’était bien lui qu’elle s’attendait à voir.

La pensée de cet homme s’était éveillée dans son esprit en même temps que l’idée de trahison.

Comment avait été éloigné maître Pol ?

Éliane eut la force de sourire malgré l’angoisse qui lui étreignait le cœur.

Renaud vit ce sourire et dit d’une voix étranglée :