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tion lui apparaissait terrible. Il se disait : si la porte allait s’ouvrir ! si Guezevern allait paraître !

Il essuyait à pleines mains, derrière le rideau, la sueur qui baignait ses tempes.

Mais cela ne l’empêchait point de tenir vaillamment son rôle, et il répondit :

« Ma toute aimée, n’êtes-vous pas mon bras droit ?

— Cette fois, c’est bien ton cœur qui a parlé, Pol, mon ami et mon maître ! s’écria Éliane. J’avais peur. Mais j’ai bien fait, du moment que tu m’approuves… et laisse-moi te saluer la première du titre qui t’appartient. Aimez-moi, aimez-moi, comte de Pardaillan, comme vous m’aimiez quand nous étions deux pauvres jeunes gens, forcés, pour vivre, à occuper un emploi de roture.

— Comtesse, ma belle comtesse, repartit passionnément Renaud, je vous adorerai jusqu’au dernier jour de ma vie ! Mais par grâce, hâtez-vous ! »

Éliane obéit, cette fois, et son corsage, dénoué, tomba.

Renaud dévorait des yeux les charmants profils de sa taille. Le succès qui payait son audace éloignait peu à peu ses frayeurs.

Après tout, ce fou de maître Pol n’était pas homme à s’arrêter à moitié chemin de la rivière.

Il avait promis de se tuer. Ce devait être chose faite.

Quant à Éliane, elle alla prendre la lampe et la porta devant un miroir pour disposer sa coiffure de nuit.

« Et savez-vous, mon ami, poursuivit-elle en baissant la voix malgré elle, tandis qu’un rouge pudique montait à la fraîcheur de ses joues, un bonheur ne vient jamais seul. Il y avait une chose que vous souhaitiez ardemment… »

Elle s’arrêta.

Renaud, pris d’une soudaine inquiétude, attendait, bouche béante, la fin de la phrase.

Il ne savait pas, le malheureux, quelle était la chose si vivement désirée.

Et il cherchait à deviner.

Éliane poursuivit, en passant le peigne dans les masses admirables de ses cheveux :

« Faut-il vous dire quel est votre souhait le plus cher, Pol, mon amour ?

— Il n’est pas besoin… » balbutia Renaud au hasard.

Et se souvenant à propos du juron favori de son compère, il ajouta :

« Mort de moi ! j’y songe la nuit et le jour ! »

Éliane eut cette moue gentille qui fronçait ses lèvres quand on lui désobéissait.

« Quel nom d’ange lui donnerons-nous ? prononça-t-elle si bas, que Renaud eut peine à l’entendre.

— Quel nom ? » répéta imprudemment le faux Guezevern.

Éliane réprima un tressaillement.

Cette fois, un soupçon, un vrai soupçon lui avait traversé le cœur.