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XVII

OÙ MAÎTRE POL SAUTE LE PAS.


Entre huit et neuf heures, ce soir-là, M. le duc de Vendôme rentra dans Paris par la porte Saint-Honoré. Il portait le deuil de son frère, M. le grand-prieur, et jurait contre sa colique que le bon air de Dampierre ni le spirituel entretien de madame la duchesse de Chevreuse n’avaient point guérie.

Le diable rouge était plus fort que cela, et les coliques qu’il donnait tenaient ferme.

M. le duc de Vendôme s’introduisit dans son hôtel de Mercœur incognito et avec des précautions infinies par une poterne de derrière, ouvrant sur le chemin des Percherons ; ceci afin d’éviter les embûches de M. le cardinal qui ne songeait guère à lui en ce moment, occupé qu’il était à prendre la Rochelle.

Aussitôt installé dans son appartement, M. le duc se mit au lit entouré de serviettes chaudes, et annonça qu’après une heure de repos il recevrait le Breton bretonnant Tête-de-bœuf, autrement dit maître Pol de Guezevern, le seul intendant honnête homme qui fût en ce bas monde.

Vers cette même heure, un cavalier se promenait seul et tête nue le long du parapet du Pont-Neuf, aux environs de la Samaritaine.

Le Pont-Neuf était alors et tant que durait le jour, l’endroit le plus fréquenté de Paris. Il avait la vogue que possédèrent au commencement de notre siècle les galeries du Palais-Royal ; c’était le lieu par excellence du plaisir et même des affaires, comme il arrive maintenant pour le boulevard des Italiens. Tabarin avait déjà établi à l’entrée de la place Dauphine son théâtre où se débitaient les onguents du sieur Mondor. Maître Gonin, vers la statue d’Henri IV, émerveillait les badauds par ses tours de gobelet, et l’illustre Briochet faisait aller, un peu plus loin, en face de l’hôtel de Conti, ses inimitables marionnettes. D’un bout à l’autre du Pont-Neuf, vous n’auriez pas trouvé dix pieds carrés qui n’eussent leur banquiste en plein air ou leur marchand de souverain baume.

Mais, dès que tombait la brune, les choses changeaient du tout au tout. Les charlatans pliaient bagage, les saltimbanques disparaissaient, l’essaim des badauds prenait sa volée, et ce champ de foire, où naguère