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plutôt fait de lire raisonnablement et à tête reposée. J’entrevois la marche à suivre, et je crois bien que ma fortune est faite ! »

La lettre d’Éliane continuait :

« Une heure après votre départ du château de Vendôme, je reçus la dépêche ci-jointe qui vous appelait en toute hâte à Pardaillan, auprès de votre oncle, — auprès de mon père, devrais-je dire, mon pauvre excellent père que j’ai embrassé aujourd’hui pour la première et pour la dernière fois.

« Mon ami chéri, vous ne me comprenez pas, mais je vous expliquerai cela plus au long demain soir, à Paris, où je vais vous rejoindre. Et d’ailleurs, il suffira d’un mot. Vous souvient-il de notre première rencontre ? Cette pauvre femme, ma mère, qui venait de mourir dans une chambre d’auberge, avait trôné longtemps à la place d’honneur dans la grande salle du château de Pardaillan. Poursuivie et calomniée par les collatéraux avides qui entouraient mon père, elle soutenait à Paris contre lui un procès en validité de mariage, procès qui fut perdu et qui fit de moi une fille sans nom.

« Les gens qui ont tué ainsi ma mère par la honte, par le chagrin sont morts à leur tour. Hier il ne restait qu’un vieillard brisé par le repentir, qui racontait en pleurant comme quoi on avait trompé sa faiblesse, et qui joignait ses mains tremblantes, m’appelant sa fille chérie et demandant pardon à la sainte martyre assise aux pieds de Dieu.

« Aujourd’hui, personne ne reste. Le vieillard est mort dans mes bras.

« Mort en me disant : Ma fille bien-aimée, c’est la Providence qui a uni ton sort à celui de mon neveu Pol de Guezevern. Il est trop tard pour réparer un mal que la justice des Parlements a sanctionné. Dieu merci, nous avons un moyen de te rendre non-seulement tes domaines, mais encore ton nom. Pol de Guezevern va être le comte de Pardaillan et tu seras comtesse !

« Ici, mon mari, je dois vous faire un aveu, et j’aime mieux vous dire ma confession dans une lettre que de vive voix. J’ai bien hésité, allez, quoique ma conscience me criât que je ne commettais point un péché. Vous me l’avez répété souvent : je suis votre bras droit, et combien de fois m’as-tu dit, Pol, mon amour : « Nous ne faisons qu’un ! » Je gardais l’argent pour toi, je signais pour toi ; je pensais pour toi aussi, un peu, n’est-ce pas ? Eh bien ! ce que je faisais chez nous tous les jours, sans remords, puisque c’était ta volonté, je l’ai fait une fois au château de Pardaillan, et j’ai peur d’avoir mal agi ; car ce que j’ai fait nous enrichit et appauvrit M. le baron de Gondrin-Montespan, l’autre neveu de ton oncle.

« J’ai signé pour accepter la donation entre-vifs, faite en notre faveur, de tous les biens de Pardaillan,