Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/117

Cette page a été validée par deux contributeurs.

peut me faire obstacle désormais, c’est ce coquin de Mitraille. »

Il se rendit à l’office, où Mitraille était en train de boire.

« Service de M. le duc, dit-il en lui montrant l’enveloppe scellée aux armes de Bourbon. Tu vas monter à cheval et te rendre tout d’un trait à l’Isle-Adam, où est M. le commandeur de Jars, et tu lui diras que Mme la duchesse de Chevreuse fait des crêpes en son château de Dampierre. S’il les aime, qu’il en vienne manger.

— Il y a cela dans la lettre ? » demanda Mitraille avec défiance.

Saint-Venant ouvrit l’enveloppe aussitôt et déplia la missive ; seulement, ce coquin de Mitraille ne savait point lire.

Comme il hésitait encore, Saint-Venant replia la lettre et dit pour la seconde fois d’un ton solennel :

« Service de M. le duc ! »

Mitraille monta à cheval et prit le galop, répétant sa bizarre leçon tout le long du chemin, et ajoutant de temps à autre :

« Mort de moi ! comme dit maître Pol, M. le commandeur et les autres, si le cardinal se fâche, pourraient bien digérer sur l’échafaud les crêpes qu’on va faire au château de Dampierre ! »

À l’Isle-Adam il ne trouva point M. de Jars qui était en Normandie, près de M. de Longueville.

Le temps de faire manger l’avoine à son cheval, il reprit la route de Paris à franc étrier, car il avait désormais des soupçons et voulait avertir Guezevern. À la Porte-aux-Peintres, il fut arrêté de par le roi et conduit à la Bastille.

Après son départ de l’hôtel de Mercœur, Saint-Venant avait eu une courte entrevue avec un homme de confiance de M. le cardinal. Voilà pourquoi ce coquin de Mitraille avait présentement l’honneur d’être prisonnier d’État.

Saint-Venant, ayant ainsi travaillé, alla passer une heure ou deux chez la Chantereine qui lui trouva, ce jour-là, l’air soucieux et préoccupé. Ses cartes étaient jouées, il attendait la fin.

Maître Pol était resté seul. Il ferma sa porte à double tour en dedans, et s’assit sur le pied de son lit. Il ressemblait assez bien à l’idée qu’on se fait du condamné à mort veillant la dernière nuit avant le supplice.

Quand quatre heures sonnèrent à l’église neuve des Capucines, il tressaillit faiblement.

« M. de Vendôme doit arriver à la tombée de la nuit, dit-il ; en cette saison, la tombée de la nuit est vers les sept heures. J’ai encore trois heures tout au plus devant moi.

— Son premier soin sera de me mander près de lui, poursuivit-il, j’en suis sûr. Il me semble que je l’entends d’ici : « Voyons, ventre-saint-gris ! tête-de-bœuf ! Breton bretonnant, il paraît que tu es devenu l’homme