Page:Féval - Le Mari embaumé, 1866, tome 1.djvu/114

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais c’est juste à ce moment où l’on veut fuir que la véritable angoisse commence.

Maître Pol s’éveilla tout à fait dès qu’il essaya de se rendormir.

Au travers de ses paupières fermées, il vit sa femme qui tenait le petit Renaud dans ses bras, et qui lui disait :

« Promets-moi de ne pas jouer ! Promets-moi de ne pas te laisser entraîner par cet homme !

— Mort de moi ! pensa Guezevern, ce coquin-là, il faudra au moins que je le tue ! »

Ceci ne s’appliquait point à Saint-Venant, mais bien à M. le baron de Gondrin-Montespan, qui lui avait gagné la partie de mille louis et la revanche.

Guezevern ne savait même pas au juste combien il devait à M. le baron, sur parole. Il savait seulement qu’il avait joué sur parole et qu’il avait perdu.

Il se leva. Il était brisé. Il alla ouvrir l’armoire et compta son argent. Sur les cent mille écus, soixante-quinze mille livres manquaient.

Guezevern remit les sacs en place et s’assit, la tête entre ses mains.

Soixante-quinze mille livres ! Il songea à son fils qui allait porter peut-être le nom d’un déshonoré.

Pendant qu’il songeait on frappa à sa porte.

La personne qui entra était un jeune garçon vêtu d’une galante livrée toute neuve. L’histoire ne dit pas si, dans sa prospérité nouvelle, M. le baron de Gondrin-Montespan avait changé son taudis de l’arche Marion contre un palais, mais il est certain qu’il s’était donné un page.

Le page de M. le baron de Gondrin-Montespan apportait à Guezevern une lettre de son maître.

La lettre disait en termes courtois que M. le baron envoyait un messager, non pas tant pour réclamer sa créance, montant à trois mille pistoles, que pour offrir revanche à M. de Guezevern.

Au lieu de lancer le page par la fenêtre, comme l’envie lui en prit vaguement, maître Pol versa un verre plein de ce bon vin, qui était dans le placard, et le lui offrit. Après quoi il fit trente rouleaux de cent pistoles qu’il aligna sur la table.

Le page but à sa santé et recompta après lui, comme c’était son devoir.

Maître Pol le pria d’accepter une couple de louis pour sa peine, et le chargea d’un million de compliments à l’endroit de M. le baron.

Le page une fois parti, maître Pol se rassit devant l’armoire et remit sa tête entre ses mains.

Il savait désormais l’état de ses affaires. L’épargne de M. le duc de Vendôme, dont il était unique gardien et dépositaire, avait une brèche de cent cinq mille livres.

« Foi de Dieu ! pensa-t-il, j’ai donné à ce mendiant de Gondrin de quoi entretenir son page ! »

Il eut un rire morne et triste.