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La Chantereine sauta de joie, et son rire argentin accompagna le bruit des pistoles que Guezevern jeta sur la table de passe-dix à poignées.

« Oh ! oh ! s’écria-t-on de toutes parts, voici un royal enjeu !

— Un enjeu d’intendant ! » ajoutèrent quelques voix.

Et d’autres qui n’étaient pas sans une petite pointe de moquerie :

« Un enjeu d’intendant honnête homme ! »

Mais Guezevern était en trop belle humeur pour se fâcher ainsi du premier coup.

« Qui d’entre vous tient ma partie, messieurs ? » demanda-t-il.

Comme tous ceux qui étaient là hésitaient, une voix vint du côté de l’entrée et répondit :

« Moi, s’il vous plaît, mon gentilhomme.

— Le baron ! fit-on de toutes parts. Voici le baron ! Nous allons assister à une belle partie ! »

Un cavalier entre deux âges, d’élégante et noble tournure venait de franchir le seuil. Il se tenait droit, portait fort haut et marchait en homme sûr de lui-même. Si maître Pol avait été dans son sang-froid, il eût pu remarquer que les femmes et aussi les hommes accueillaient le nouvel arrivant avec une sorte de prévenance craintive.

Ce devait être un homme sincèrement respecté ou redouté.

« Mon gentilhomme, répondit Guezevern sans même se retourner, autant vous qu’un autre. Ce sera comme il vous plaira. »

M. le baron de Gondrin-Montespan, car c’était lui, traversa la chambre, donnant çà et là quelques poignées de main et caressant quelques jolis mentons. Il avait un peu l’air protecteur de l’homme de rang qui se compromet en douteuse compagnie. Renaud de Saint-Venant et lui échangèrent un regard tandis qu’il passait.

Guezevern n’avait rien vu de tout cela. Il rendit le salut que lui adressa M. le baron, parce qu’il était bon prince et s’assit sur un coin de table, laissant aller la partie qui commençait.

La Chantereine avait mis sur les genoux de Pol les tresses d’or de sa coiffure et riait tant qu’elle pouvait sans savoir pourquoi. C’est parfois un dur métier. Dans toute la rigueur du terme, elles gagnent leur pain à rire.

« J’ai perdu, dit le baron après quelques instants.

— Est-ce assez pour ton collier de perles ? demanda maître Pol.

— Non, répondit Chantereine, double !

— Double ! » répéta Guezevern.

Et M. le baron dit :

« Je tiens. »

La partie recommença.

M. le baron perdit encore.