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— Foi de Dieu ! s’écria maître Pol, la joue chaude déjà et l’oreille écarlate.

— Là là ! On vous dit de ne vous point fâcher. Sait-on les fantaisies qui peuvent entrer dans la cervelle d’une femme délaissée ? »

Maître Pol lui saisit le bras violemment.

« Prétendriez-vous ?… commença-t-il.

— Mon digne ami, l’interrompit l’écuyer d’un air innocent, le temps n’a point mis de plomb dans votre tête. Je ne prétends rien, et si je blâmais quelqu’un, ce ne serait point madame Éliane, mais bien vous ! »

Les doigts de Guezevern lâchèrent prise, et il se dit, honteux de sa colère :

« C’est moi qu’il accuse, et il a bien raison ! Si mon Éliane l’entendait seulement, elle connaîtrait sa bonne âme ! »

Ils franchissaient l’entrée quelque peu fangeuse du cul-de-sac Saint-Avoye, et déjà un bruit confus de chants et de rires frappait leurs oreilles.

Après avoir longé une allée étroite et noire qui ne ressemblait certes point à l’avenue d’un palais, ils montèrent un escalier pareillement étroit et fort raide que remplissaient mille joyeux fracas.

Au haut de la première volée un vaste palier, éclairé richement, était occupé par des valets en livrée. Ici, l’air changeait brusquement de saveur. Au lieu des exhalaisons humides épandues dans l’allée et dans l’escalier, une odeur tiède et parfumée saisissait déjà les narines et montait au cerveau.

Maître Pol respira.

« Foi de Dieu ! murmura-t-il, me voici rajeuni de cinq ans ! Nous reconnaissons ce vent-là, mon compagnon ! »

Saint-Venant poussa l’une des trois portes qui s’ouvraient sur le carré, et nos deux amis se trouvèrent dans une salle de large étendue, un peu basse d’étage, il est vrai, mais toute ruisselante de lumières.

Maître Pol respira plus fort et porta la main à ses yeux éblouis par tout un horizon d’épaules nues et de sourires étincelants.

C’était cela qu’il regrettait dans son heureux exil, ce pauvre bon garçon. Chaque exilé a dans le cœur un subtil parfum qui s’appelle la patrie.

La patrie du page fou était précisément ce temple de l’extravagant plaisir.

Sous le règne de Louis XIII, ce jeune homme triste, soucieux et malade, la joie cherchait une issue hors des froides limites de la cour. Tout ce qui entourait Louis XIII, y compris la jeune reine, aimait passionnément le plaisir.

Devant le plaisir, le roi restait comme un valétudinaire sans appétit devant une table bien servie.

Le plaisir lui donnait des nausées.

On dit pourtant qu’il avait ses plaisirs à lui, puérils