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Mais l’arithmétique elle-même est sujette à errer, si elle néglige imprudemment un des éléments du calcul. Petite ne tenait pas compte de la possibilité d’un autre amour.

Et cependant le trouble de Franz lui donna tout de suite à penser, car elle était plus habile encore que confiante ; elle trouva qu’il se défendait mal ; elle douta.

En outre, à mesure qu’elle réfléchissait, cette opulence inattendue qu’elle rencontrait à la place de la pauvreté lui inspirait une inquiétude croissante.

Franz lui avait menti depuis des semaines, ou bien cette richesse était-elle toute récente ?

Dans l’un et l’autre cas, il y avait là-dessous un mystère, et quoi qu’il en pût être, il lui semblait de plus en plus urgent d’atteindre son but et d’attirer le jeune homme à cette fête de Geldberg, où l’intrigue aurait son dénoûment fatal.

Un travail rapide se fit dans son esprit expert : elle se dit que ce rôle de victime, continué trop longtemps, détournerait l’entretien et pourrait éloigner le résultat ; elle changea de batteries, non pas tout de suite, mais en feignant d’être insensiblement persuadée.

— J’ai attendu jusqu’à cette heure, mon pauvre Franz, reprit-elle, et avec quelle impatience 1 J’espérais un mot de vous !… Rien ne venait… Mon Dieu ! j’ai bien souffert !… Enfin je n’ai pu résister davantage ; j’ai fait atteler ma voiture et je suis accourue…

— Combien je vous remercie, Sara ! dit Franz.

C’était froid. Au lieu de s’échauffer, le jeune homme semblait prendre de la réserve.

Petite l’examina, cherchant à lire sa pensée intime sur son visage.

Cette pensée intime était une subite défiance. Franz venait de se reporter tout à coup à sa dernière entrevue avec madame de Laurens ; il se souvenait des paroles prononcées au café Anglais, à la fin du déjeuner. Petite avait soulevé là un coin du voile qui couvrait son cœur, et Franz n’y avait découvert que sécheresse cynique et profonde indifférence.

Au moment où il lui avait annoncé son duel, ces détails lui revenaient