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ici, excepté moi, n’a le droit de lever la tête. Vous m’avez offensé : je vous chasse !

— Mais, monsieur… voulut dire Martel.

— Je vous chasse ! répéta le vieillard d’une voix tonnante.

En même temps il saisit Martel à bras le corps, et, usant de sa force supérieure, il le mit hors d’état de faire un mouvement.

— Ouvre la porte, Prégent, dit-il. — Prégent ouvrit la porte.

Le vieillard franchit le seuil, souleva son fils entre ses bras, et l’étreignit contre sa poitrine.

C’était de la fureur, — ou c’était le dernier adieu d’une délirante tendresse.

Martel perdait le souffle.

Le vieillard lui mit au front un baiser furtif et le jeta brisé au plus épais du taillis.

— Que Dieu garde, dit-il avec une émotion profonde, le dernier des Carhoat !

Il rentra dans la maison et referma la porte derrière lui à double tour.

— Allons, enfants, buvons ! s’écria-t-il, rions ! chantons !… Il n’y a plus ici de trouble-fête.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mademoiselle de Presmes avait repris ses sens, grâce aux soins de Petit René.

Quand ses forces furent un peu revenues, l’enfant la releva et guida ses pas chancelants jusqu’à l’issue secrète qui se trouvait au sommet du plateau de Marlet.

Lucienne souffrait. La lassitude et la frayeur arrêtaient sa marche à chaque pas.

L’enfant la soutenait, et lui rendait courage.

Ils furent bien longtemps à traverser les taillis et la longue avenue. — Ils arrivèrent enfin à la grille de Presmes, et comme Lucienne remerciait avec effusion son jeune sauveur, René lui baisa la main en disant : — Aimez bien mon frère Martel ! — Puis s’approchant de son oreille, il ajouta tout bas :

— Et vous, qui êtes si riche, mademoiselle, donnez une dot à Bleuette, afin qu’elle épouse celui qu’elle aime, et qu’elle soit bien heureuse…

Une larme se balançait aux cils de sa paupière… — Il s’enfuit.

Lorsqu’il rentra dans le souterrain, la porte de la ferme s’ouvrait, et M. le marquis de Carhoat, suivi de sa fille, s’introduisait dans la salle où étaient les habillements et les munitions.

René les vit rouler vers le couloir un des tonneaux remplis de poudre.

— Mon fils Martel a raison, disait le vieillard, — il faut que Carhoat meure.

Laure répondit :

— Je suis prête, monsieur mon père. — Puis elle ajouta après un silence :

— Mais lui, notre noble Martel, pourquoi subirait-il la peine de nos fautes ?

— Martel ne mourra point, répondit le vieillard. — Ils resteront deux bons cœurs, deux âmes pures, — si René, le pauvre enfant, vit encore, — pour relever le nom de Carhoat. — Il s’arrêta et ajouta tout bas :

— Que nous avons déshonoré !

Le tonneau de poudre était dressé contre la porte de la ferme. Le vieillard y fit un trou, et alla chercher, parmi les objets qui avaient servi trois ans auparavant au siège du château de Presmes, une mèche soufrée qu’il introduisit dans le trou. — Puis il mit le feu à l’extrémité de la mèche.