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fait ! Avancez, avancez, ma respectable dame… mon fardeau me fatigue, et il me tarde de m’en débarrasser.

Celui qui prononçait ces paroles se montra en ce moment au bout du couloir. Petit René le reconnut d’un seul coup d’œil.

C’était le personnage qu’il avait vu l’avant-veille, attablé dans la salle voisine avec son père et ses frères.

Cet homme portait entre ses bras une femme évanouie dont Petit René, dans le premier moment, ne put point apercevoir le visage.

M. le chevalier de Briant regarda tout autour de lui et avisa l’espèce de couche que venait de quitter le dernier des Carhoat.

— Pardieu ! s’écria-t-il, voilà qui se trouve à merveille !… Madame de Kérizat sera là comme dans son lit.

Il déposa Lucienne sur les vêtements amoncelés et se tourna vers Noton Renard.

— Allons, ma bonne dame, allons ! lui dit-il, — occupons-nous du souper, s’il vous plaît !… MM. mes amis vont revenir, et je suis sûr qu’ils auront un appétit d’enfer !…

— Mais cette jeune demoiselle a perdu connaissance, objecta Noton Renard. — Nous ne pouvons l’abandonner ainsi !…

— Ne vous inquiétez pas, ma bonne dame ! répliqua le chevalier, — je suis un peu médecin, et je réponds qu’un petit évanouissement de temps en temps ne fait point de mal aux jeunes filles… Allons, leste ! à la cuisine !…

Il poussa la vieille Noton, qui tourna un œil de regret vers Lucienne évanouie, et sortit avec répugnance. Le chevalier la suivit. — René entendit la lourde porte de la ferme tourner sur ses gonds grinçants puis retomber.

Presque au même instant un grand bruit se fit à l’intérieur de la ferme. Des voix tumultueuses se croisèrent, comme si plusieurs hommes arrivaient à la fois.

Petit René sortit doucement de sa cachette, et vint s’agenouiller près de la femme évanouie.

Par habitude, la vieille Noton avait mis une résine dans le bois fendu fixé à la muraille, et l’avait allumée.

Petit René put reconnaître Lucienne.

De l’autre côté de la porte, Laurent, Prégent et Philippe, blasphémaient à l’envi, harassés de fatigue et tout meurtris de contusions. Rien qu’ils n’eussent reçu dans la lutte aucune blessure grave, ils avaient été fort maltraités et devaient garder longtemps le souvenir de cette soirée.

Le vieux Carhoat entrait en ce moment, sombre et taciturne.

Sur son visage pâle, il y avait une longue trace rouge.

Le coutelas d’un des piqueurs de Presmes lui avait fait cette blessure.

Il traînait derrière lui le prisonnier, qu’il tenait par le collet.

Derrière encore venait Francin Renard, qui perdait son sang par de nombreuses blessures, et qui s’appuyait, chancelant, au montant de la porte.

La vieille Noton ne l’apercevait point. Elle s’avança vers M. de Carhoat et lui dit :