Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/816

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tions hardies que les gens de sa sorte risquent parfois, pour se faire la partie plus belle en cas de malheur.

Dans les idées de tous, on ne va guère demander de ses nouvelles à un homme qu’on attaqua la veille sur un grand chemin.

En conséquence, le chevalier venait demander à M. de Talhoët comment il se portait.

C’était comme une vague présomption d’innocence qu’il mettait de côté pour l’avenir.

Il avait le costume que nous lui avons vu à la ferme de Marlet et dans le château de Presmes.

Ses manières étaient ici, comme toujours, avenantes, franches, nullement dépourvues de distinction, et comme imprégnées d’un parfum de bienveillante rondeur.

— J’apprends à l’instant, chevalier, dit-il, — qu’il vous est arrivé hier un accident sur la route Pardieu ! le malheur s’en est mêlé… Si les coquins s’étaient attaqués à moi qui n’ai ni sou ni maille, ils n’auraient eu que des coups à recevoir !… Mais vous, si l’on ne m’a point trompé, vous étiez porteur de quelques fonds appartenant à notre confrérie bretonne…

— C’est la vérité, monsieur, répondit Talhoët. — Je les remplacerai.

— Je n’en doute pas, monsieur mon ami, je vous prie de croire que je n’en doute pas !… D’ailleurs, dès qu’il s’agit d’argent, quelle que soit la somme, c’est toujours une bagatelle Mais ce qui est sérieux, ce sont vos blessures, à ce qu’on dit Les coquins vous ont mené rudement et M. le lieutenant de roi, que j’ai vu ce matin, m’a chargé de vous offrir de sa part les services de son médecin.

Kérizat disait vrai. Il avait vu ce matin même le lieutenant de roi et quelques autres gentilshommes. Il était venu à Rennes pour prendre langue et savoir si la nouvelle de l’attaque y faisait du bruit déjà.

Le commun des citoyens n’en était point instruit encore, mais les autorités savaient, depuis le soir de la veille, l’attaque qui avait eu lieu. M. de Presmes, en effet, avait dépêché au lieutenant criminel un exprès qui dénonçait le crime commis, et déclarait que l’un des coupables, M. Prégent de Carhoat, avait été saisi en flagrant délit.

Ces renseignements, pris à bonne source, réglèrent la conduite de Kérizat.

— Monsieur mon ami, — poursuivit-il en donnant à ses traits une expression d’intérêt affectueux, — bien que nous soyons, par principe, opposés à M. le lieutenant de roi, il me semble que vous pouvez accepter son offre bienveillante.

— Je n’en ai pas besoin, répliqua Talhoët, — mes blessures ne sont rien, et j’ai un chirurgien excellent.

— Tant mieux, mille fois ! s’écria Kérizat, — et puissiez-vous guérir aussi promptement que je le souhaite !… Il y a gros à parier que vos adversaires seront plus sérieusement malades que vous.