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XX
LA COMPLAINTE


Ce même jour, madame la comtesse Anne de Landal s’était rendue à Rennes pour visiter l’hôtel de Presmes et y faire les préparatifs d’un prochain séjour. La saison d’hiver s’avançait, et les États devaient siéger cette année de bonne heure. — La session des États c’étaient les nobles fêtes, les bals luxueux et les galants plaisirs.

Bien des jours se sont écoulés depuis le temps où la noblesse de la province, réunie à Rennes, rivalisait d’hospitalité gracieuse et de belle magnificence.

Mais la capitale bretonne n’a point perdu son élégante renommée. Elle est toujours le centre noble, et la riche cité de Nantes, enorgueillie en vain de ses quatre-vingt mille habitants et de ses pompes commerciales, doit s’incliner encore, à cet égard, devant l’antique royauté de sa suzeraine.

Lucienne n’avait point suivi sa sœur. Elle était partie de Presmes, comme nous l’avons vu, après une nuit sans sommeil, pour se rendre à Fontaine aux Perles.

Mais Bleuette se levait avec l’aurore. Bleuette était déjà dans le bois où sa chanson accoutumée envoyait en vain cette fois le signal d’amour.

Hervé Gastel l’entendait peut-être, mais il faisait semblant de ne la point entendre. Il était venu cette nuit à la ferme, le cœur plein de soupçons jaloux, et cette terrible aventure de l’homme qu’il suivait dans l’ombre, et qu’il avait vu disparaître au sommet du rocher de Marlet, ne l’avait point empêché de faire à Bleuette de vifs reproches.

Il y avait eu querelle. Le veneur sous la fenêtre, la jeune fille dans sa chambrette, s’étaient disputés une heure durant, au sujet du pauvre Martel qui pendant cela se morfondait dans le jardin de Presmes.

Bleuette avait un bon petit cœur qui ne savait point se souvenir du mal. Dès le matin, elle courut après Hervé dans la forêt ; — mais Hervé lui gardait peut-être de la rancune.

En outre, il tenait à se laver du reproche de faiblesse que lui avait adressé publiquement le vieux piqueur, au souper de la veille.

Il s’était bouché les oreilles vertueusement pour ne point écouter le chant de