Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/787

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Presmes reçut en plein sur la tête un dernier coup de crosse, et une voix moqueuse s’éleva tout près de son oreille pour lui dire.

— Bonsoir, vieux fou !… nous aurons encore bientôt affaire ensemble !

Au même instant, les deux valets de chiens et plusieurs charbonniers, munis de branches de pins enflammés, arrivèrent sur le lieu de la scène, qui fut éclairée vivement tout à coup.

Les chasseurs cherchèrent leurs ennemis et se virent avec étonnement au milieu de ces arbres abattus qui prolongeaient les taillis jusque dans la route tracée.

Mais ils n’eurent pas le temps de garder ce sujet de surprise.

Ils étaient en famille pour ainsi dire, et nul adversaire ne se montrait autour d’eux.

C’était entre eux qu’ils s’étaient distribués ces vaillants horions de tout à l’heure.

Hervé Gastel avait mis dans un état pitoyable le maître piqueux de Presmes, et avait pris ainsi à son insu une ample vengeance des propos téméraires que maître Proust avait tenus sur la jolie fille de Jean Tual, au souper de la veille.

Les écuyers s’étaient rués contre les veneurs. — Ce n’étaient que plaies et bosses. Chacun avait fait son devoir en conscience.

Enfin, dans un coin entre deux arbres abattus, qui les entouraient de leurs rameaux, le baron de Penchou et Corentin Jaunin de la Baguenaudays faisaient rage l’un contre l’autre, lis s’étaient saisis aux cheveux dans l’obscurité et s’étaient assommés sans miséricorde.

Un des deux petits yeux noirs du baron de Penchou disparaissait maintenant sous une énorme bosse. — Corentin avait perdu plusieurs dents, et des mèches entières de ses cheveux fades jonchaient le sol.

Il est vrai de dire que de ces cheveux jaunes et laids il en restait encore assez pour couvrir deux têtes : tant la Providence avait été généreuse à cet égard envers le jeune de la Baguenaudays !

Il faudrait un chapitre entier pour peindre comme il faut les ravages exercés sur Corentin par le baron et par Corentin sur Penchou.

Vous ne les eussiez point reconnus. Jaunin était privé de l’une de ses longues oreilles, le nez camard du baron s’élargissait aplati et couvrait ses deux joues.

Ils s’étaient contusionnés, égratignés, mordus !

Les autres gens de la chasse, quand ils eurent reconnu leur méprise, se donnèrent une poignée de main de bon cœur, et tout fut dit.

Les ténèbres seules étaient coupables, et d’ailleurs il n’y avait point eu de dangereuses blessures, à cause de la confusion qui avait gêné les mouvements et de l’impossibilité où chacun s’était trouvé de faire usage de ses armes.

Mais il n’en fut point ainsi du baron de Penchou et de Corentin Jaunin de la Baguenaudays. — Quand les deux malheureux gentilshommes se reconnurent après leur bataille homérique, ils se lancèrent de fauves regards.

— Ah ! c’est toi qui m’as ravi mon oreille ! pensa Jaunin.

— C’est toi qui m’as mis une bosse sur l’œil ! se dit le baron.