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Philippe et Laurent laissèrent M. de Tahoët prendre de l’avancement et se coulèrent à leur tour hors du creux de l’arbre, pour le suivre de loin.

Le jour baissait, la route était encore éclairée, mais il faisait nuit déjà sous le couvert.

Dans une petite cabane de charbonniers, abandonnée et ruinée à demi, qui touchait presque au carrefour de Mi-Forêt, le vieux Carhoat, son fils Prégent et M. le chevalier de Briant étaient réunis autour d’un débris de table qui supportait trois coupes en cuir et une gourde d’eau-de-vie.

Ils buvaient et tâchaient d’attendre le plus patiemment possible l’arrivée du gibier qu’ils guettaient.

Chacun d’eux avaient auprès de soi un fragment de peau de loup taillé de manière à servir de masque.

À une forte demi-lieue de là, du côté de Liffré, les équipages de M. le capitaine des chasses, harassés, brisés, s’en revenaient piteusement après avoir manqué le sanglier de meute.

C’était un grand vieux sanglier de six ans, courable au mieux et n’ayant point de refus, comme eût dit maître Proust, le piqueur.

Hervé Gastel l’avait détourné le matin, et sur son rapport fait dans les règles, le vieux Presmes avait compté sur une superbe chasse.

Le revoir avait été magnifique, le débuché brillant, et M. de Presmes avait juré qu’avant deux heures de relevée on verrait la bête s’acculer aux abois.

Mais il avait compté sans le baron de Penchou et sans Corentin Jaunin de la Baguenaudays.

Ces deux aimables gentilshommes étaient possédés d’un désir immense de se distinguer, pour reparaître à leur avantage devant les charmantes filles du vieux veneur.

M. de Talleyrand l’a dit et bien des sous-chefs de bureau l’ont répété : le zèle est le plus grand de tous les fléaux.

Un homme qui a du zèle est capable de tout. — Le plus sûr est de l’étouffer préventivement entre deux matelas comme une bête enragée…

On avait négligé cette précaution à l’égard du baron de Penchou et du long Corentin Jaunin de la Baguenaudays.

On avait fait pis. — On leur avait mis une trompe sous l’aisselle et des pistolets dans leurs fontes.

Ils s’étaient élancés, les deux jeunes et vaillants rivaux, brillants d’ardeur et pleins d’espoir.

Leur trompe bavarde avait crié sous le couvert, et les chiens, désorientés par leur éloquence romantique, avaient cessé de goûter la trace, harpaillant çà et là comme des bêtes folles.

Tandis que le baron de Penchou forhuait de son mieux dans la coulée, parce qu’il tombait sur le pied d’un ragot égaré, Corentin Jaunin de la Baguenaudays s’arrêtait triomphant dans la voie d’un lièvre et sonnait un joyeux requêté…