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Il entra, la sueur au front et l’haleine essoufflée.

— Belle dame, dit-il en baisant la main de Laure, — je craignais de vous avoir fait attendre… M. le gouverneur de la ville, le maréchal et M. de Fitz-James se sont réunis ce matin, et m’avaient convoqué… J’allais prendre place au conseil, lorsque votre message m’est parvenu… Belle dame, le service du roi passe avant tout, mais après vos ordres… le conseil peut attendre : me voici.

Le lieutenant de roi passa son mouchoir sur son front et s’assit sur un fauteuil pour reprendre haleine.

— Nous partons, dit Laure.

Le lieutenant de roi se leva aussitôt et parut oublier sa fatigue.

Dans la cour, un fringant cheval attendait Laure ; elle se mit en selle avec le secours de M. le marquis de Coëtlogon, et tous les deux passèrent la porte de l’hôtel.

À la fenêtre du boudoir de Laure, la petite Aline, accoudée au balcon, tournait ses regards pensifs sur la rue qui descendait aux remparts.

Lorsque Laure de Carhoat, escortée de M. de Coëtlogon, s’engagea dans cette voie après avoir tourné l’angle de la rue Saint-Georges, les yeux d’Aline s’animèrent, et un sourire ému vint à sa lèvre.

— Mon Dieu, murmura-t-elle, ayez pitié de ma maîtresse ! — Vous qui l’avez faite si belle et si bonne, mon Dieu ! la laisserez-vous toujours souffrir ?…

La tête poudrée de la Topaze disparut derrière les premières maisons qui bordaient les Murs. — Aline resta bien longtemps pensive à la fenêtre. Ses grands yeux naïfs rêvaient ; son esprit, éveillé, tâchait à sonder un malheur qui la touchait, mais qu’elle ne comprenait point.

Laure allait, gracieusement assise sur la selle et montrant les perfections de sa taille, au balancement du pas de son cheval. Les glands d’or de son béret se jouaient sur son épaule. Elle avait retrouvé son beau sourire, — ce sourire qui enivrait le cœur et la faisait sans rivale.

Sur son passage, les jeunes garçons s’arrêtaient et admiraient, disant avec un vague accent de désir :

— C’est la Topaze !

Les femmes répétaient avec un mépris affecté, où il y avait de l’envie et de la haine :

— C’est la Topaze !

Quelque vieillard enfin, qui se souvenait du bon temps de Carhoat et des jours où ce nom brillait parmi les plus nobles de la province, secouait, en soupirant, sa tête austère, et détournait les yeux en murmurant :

— C’est la Topaze !

La Topaze ! la Topaze ! Ce nom était dans toutes les bouches ; tous les regards étaient pour elle. Vers elle convergeaient tous les sentiments : amour, aversion, pitié.