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Maître Colin donna un dernier coup de peigne au chignon de la Topaze, puis il se regarda encore dans la glace, pour échanger avec lui-même un sourire souverainement satisfait.

Avant de reprendre la parole, il eut le loisir de s’avouer que ses connaissances littéraires égalaient pour le moins son coup d’œil politique.

— On dit encore, poursuivit-il remplissant en conscience son office de gazette, — on dit encore que l’auberge de la Mère-Noire, dans la rue du Champ-Dolent, donne du fil à retordre au guet toutes les nuits. Il paraîtrait que ce qui reste des anciens Loups de la forêt de Rennes s’est abattu sur ce taudis… Madame n’a sûrement jamais eu l’idée de passer dans la rue du Champ-Dolent… C’est un méchant repaire où l’on tue des moutons et des hommes… Et, Dieu me pardonne, je suis payé pour savoir cela, puisque mon oncle a été étranglé derrière le glacis de Toussaint et jeté dans la Vilaine pour douze sous qu’il avait dans sa poche… Je prie le ciel de faire paix à son âme… C’est son héritage qui m’a permis d’élever ma boutique.

Maître Colin attaquait maintenant le côté gauche de la chevelure de Laure ; — l’âme de celle-ci était bien loin de sa toilette. Les innombrables paroles du perruquier babillard bourdonnaient vaguement autour de ses oreilles inattentives, et passaient comme de vains sons.

— Est-ce bientôt fait, maître Colin ? dit-elle.

— Que madame daigne prendre un peu de patience, reprit le perruquier. — Je fais de mon mieux et au plus vite… Mais madame a tant de beaux cheveux qu’on aurait plus tôt fait de coiffer trois autres femmes que madame… Ah ! je sais bien de bons gentilshommes… et je dis des plus riches !… qui donneraient quelque chose pour être à la place où me voici… pas plus tard qu’hier… Mais je ne sais si je dois me permettre de raconter ces bagatelles à madame ?

Laure ne répondit point, parce qu’elle n’avait pas entendu.

Le perruquier attendit l’espacede deux secondes ; puis, enhardi par ce silence, qu’il prit pour un tacite consentement, il poursuivit :

— Je l’ai dit bien souvent à madame… et pourquoi ne le répéterais-je pas, puisque c’est la vérité ?… Madame est la Providence de ma pauvre boutique… Depuis qu’on sait que j’ai la tête de madame, mon salon ne désemplit pas… J’ai été obligé de prendre deux apprentis, et j’espère bien sous peu en avoir un troisième… La noblesse et les écoles se donnent rendez-vous chez moi… J’ai deux ducs, six marquis, seize comtes, vingt-huit vicomtes, et quant aux barons et aux chevaliers, j’avoue franchement à madame que je n’ai même pas essayé de les nombrer… Mes confrères enragent, et ce n’est pas là le moins flatteur de mon succès… Madame comprend que tous les jours j’entends bien des paroles passionnées.

Le perruquier baissa la voix et se pencha pour tâcher de voir les yeux de la Topaze.

Ces grands yeux, demi-fermés, étaient fixes et regardaient sans voir.