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— Oui, oui, notre demoiselle, murmura Aline, — vous serez bien heureuse… il vous aime… Pourquoi serait-il le seul à ne point vous aimer ?…

Son regard s’arrêta sur les bouquets de fleurs couchés côte à côte sur le tapis.

— Tout le monde vous aime, reprit-elle. — et tous nos jeunes seigneurs vous donnent leur première pensée, comme je donne la mienne à Dieu.

Le beau front de la Topaze s’attrista.

— Tout le monde m’aime, répéta-t-elle. — Je suis pourtant la fille d’un gentilhomme.

Elle se leva d’un bond, et sa taille se redressa dans toute sa hauteur fière. — Ses grands yeux noirs brillèrent sous la ligne hardie de ses sourcils.

Dans sa colère soudaine et fougueuse, elle foula aux pieds les bouquets dont les fleurs détachées jonchèrent bientôt le tapis autour d’elle.

— Qui donc a eu le droit de me faire ces présents ?… dit-elle.

Sa pose était celle d’une reine. Tout en elle respirait une dignité superbe…

Elle reprit, en écrasant du pied les roses rouges de M. le lieutenant de roi :

— Je ne veux pas de ces fleurs qui sont un outrage !… Je veux vivre seule… je veux mettre un voile sur mon visage et me consacrer à lui, toute à lui !…

Elle s’arrêta, et son impétueux élan tomba comme par magie. Son beau visage, enflammé par la colère, se couvrit de pâleur. — Son regard s’éteignit.

Elle s’affaissa, faible, sur les coussins du sopha, et mit son front dans ses mains.

Aline vit son sein soulever la molle étoffe de sa robe ; entre ses doigts blancs, des larmes coulèrent.

— Ne pleurez pas, notre demoiselle ! dit la jeune fille dont les yeux devinrent humides, — ne pleurez pas !… Vous êtes belle, riche, aimée !…

La Topaze l’interrompit par un geste brusque.

— Laisse-moi ! dit-elle.

Aline s’éloigna, docile.

Comme elle arrivait à la porte, un valet s’y présenta, et dit :

— De la part de M. le vicomte de Plélan…

Laure eut un tressaillement douloureux.

Aline rentra. Elle avait encore à la main un gros bouquet de roses et une lettre.

— De la part de monsieur le vicomte de Plélan, répéta-t-elle d’une voix triste.

Laure lui montra du doigt la porte.

La jeune fille déposa sur un meuble le bouquet avec la lettre et sortit.

Une fois seule, Laure de Carhoat resta durant quelques secondes immobile, l’œil fixe et les sourcils contractés.

Elle croisait ses bras sur sa poitrine soulevée. Son exquise beauté prenait un caractère tragique.

Ses cheveux blonds ruisselaient le long de sa joue pâle. Autour de sa lèvre, il y avait un amer sourire qui répondait au feu sombre de son regard.