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le Portugais en eût été pour ses grimaces ; personne n’eût voulu croire autre chose, sinon que Sara, douce providence, venait là secourir et consoler.

Il y avait entre la femme que nous avons vue tout à l’heure dans le boudoir, livrée aux mains savantes de ses deux caméristes, et la femme inclinée maintenant au-dessus de ce lit de douleur, une différence presque complète ; vous eussiez voulu pour ornement à sa beauté, tout à coup transfigurée, la pieuse coiffe d’une sœur de charité ; sa prunelle n’avait plus que des rayons timides ; son visage semblait fait pour exprimer uniquement désormais la patience attentive de la garde-malade et sa dévote miséricorde.

À sa vue, l’agent de change fit effort pour se soulever sur son séant ; mais il était trop faible, il ne put y réussir. Sa tête demeura lourde sur l’oreiller. L’effet bienfaisant de la présence de Sara n’en fut pas moins soudain et visible : les rides de son front s’effacèrent peu à peu, et ses sourcils contractés se détendirent ; ses yeux restèrent demi-fermés, comme s’il eût craint encore, dans le vague de son réveil, de voir la vision chère s’évanouir.

— Comment vous trouvez-vous, mon ami ? dit Petite bien doucement.

Le malade tressaillit à cette voix et ouvrit les yeux tout à fait. Dans le regard qu’il jeta sur sa femme, il y avait une joie timide et beaucoup d’effroi. C’était un regard esclave, où l’âme domptée parlait, où se lisait l’amour obstiné, combattu en vain par la longue misère.

— J’ai bien souffert cette nuit, répondit-il d’une voix faible et changée.

— Et pourquoi ne m’avoir pas appelée ? demanda Petite avec un accent de reproche.

M. de Laurens baissa les yeux et garda le silence. Saulnier s’était approché.

— Il y a du mieux, dit-il ; la crise est finie, et, à moins d’accident nouveau, nous aurons une bonne journée.

— Nous aurons ce qu’il lui plaira de nous donner ! murmura le Portugais.

Il contemplait toujours Petite avec une curiosité froide ; mais, sous cette apparence glaciale, perçait déjà la passion réveillée.