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Il y avait bien longtemps qu’elle poursuivait cette veille douloureuse. — Elle se leva, fatiguée, et rouvrit sa fenêtre.

Vis-à-vis de sa fenêtre, elle aperçut encore cette même forme indistincte qu’elle y avait vue déjà.

La nuit était bien noire ; mais quand ses yeux se furent habitués à l’obscurité, elle crut reconnaître le costume militaire avec ses larges bandes d’or, tranchant sur le drap sombre.

Son âme était dans ses yeux. Elle regardait émue jusqu’à l’angoisse, et son cœur agité soulevait son sein.

Incapable de se contenir davantage, elle murmura bien bas :

— Martel !… Est-ce vous ?

Le fantôme éleva vers elle ses bras qui étaient croisés sur sa poitrine…

Il se mit à genoux.

— C’est moi, répondit-il, — c’est moi qui revenais pour vous aimer, Lucienne… car tous mes jours, toutes mes heures ont été à votre souvenir.

La jeune fille joignit ses mains et demeura muette, sous l’émotion qui l’oppressait.

— j’ai voulu me rapprocher de vous, Lucienne, reprit Martel dont la voix tremblait. — J’ai voulu vous voir, et c’est presque un crime, car je dois renoncer à vous… Mais, avant de me séparer de cet espoir qui faisait toute ma force dans la vie, il fallait bien que je vous dise adieu, — ne fût-ce que pour vous rendre votre parole, mademoiselle.

— Vous ne m’aimez donc plus ? murmura la jeune fille.

Un gémissement étouffé fut la seule réponse de Martel.

Puis sa bouche s’ouvrit pour donner passage à l’amour qui remplissait son cœur.

Mais il se retint, et ses deux mains pressèrent convulsivement son front en feu.

— Ce serait une lâcheté ! murmura-t-il.

Lucienne écoutait, attendant quelque bonne parole de tendresse.

Elle vit Martel se lever brusquement, s’éloigner et disparaître derrière les massifs du jardin.

Un lointain adieu arriva jusqu’à son oreille.

Elle appela :

— Martel ! Martel !…

Point de réponse. — Elle attendit, et les premiers rayons du jour qui naissait la trouvèrent accoudée au balcon de la fenêtre.

L’aube lui montra le jardin désert.

Lorsque le soleil rougit les nuages au-dessus de la forêt, elle quitta le château pour aller réfugier sa peine auprès de Bleuette, sa seule amie, et se dirigea vers la Fontaine aux Perles.