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Celui-ci imprima au cornet une dernière secousse et les dés roulèrent sur la nappe.

— Pour vous, Kérizat, répéta le vieillard.

Toutes les têtes se penchèrent à la fois. Celle de Francin Renard, timidement avancée, apparaissait derrière les autres, encadrée par ses grands cheveux incultes, et montrant ses petits yeux écarquillés, qui luisaient comme des charbons ardents.

— Trois et six ! dit Kérizat.

— Neuf ! ajouta Prégent ; — bon point !

Les deux autres Carhoat s’écrièrent avec impatience :

— À nous, monsieur, à nous !

Les dés rentrèrent dans le cornet, qui reprit son roulement sec et strident.

— Pour vous, messieurs de Carhoat, dit le vieillard en lâchant le coup.

— Huit ! s’écria Kérizat.

— Six et deux ! murmurèrent les trois frères désappointés.

— Allons-nous perdre !… s’écria Philippe avec colère.

— Ça se pourrait bien, grommela Francin Renard.

Philippe se retourna, et, d’un coup de poing, l’envoya tomber contre la muraille.

Le paysan demeura quelques secondes terrassé, puis il se releva bien doucement, et vint reprendre sa place assez à temps pour voir le marquis remettre les dés dans le cornet.

Il était de nouveau à portée du terrible poing du cadet de Carhoat, mais il était aussi à portée de voir.

— Je marque un point, dit Kérizat froidement. — Voyons la seconde partie.

— Pour vous, Kérizat, prononça encore le vieillard dont la voix, involontairement, se faisait plus grave.

Les dés sautèrent hors du cornet.

— Encore six et trois !… s’écria Philippe.

— Vous pouvez amener plus haut, répliqua le chevalier avec calme, — j’ai neuf, c’est un joli point, mais il y a mieux… à votre tour !

Les trois têtes des fils de Carhoat se touchaient presque, inclinées et dévorant l’endroit de la nappe où allait tomber le sort. Les veines de leurs front se dessinaient, gonflées ; leurs tempes battaient et la sueur mouillait les mèches éparses de leurs longs cheveux.

Derrière eux, la figure de Francin Renard exprimait une curiosité avide. — Derrière encore, à l’ouverture de la porte, on eût pu apercevoir, dans le demi-jour, le visage candide et doux de l’enfant qui regardait, qui écoutait, mais qui ne comprenait plus.

Le coup pouvait décider de la partie entière, puisque les Carhoat n’avaient plus qu’une chance.

— Pour vous, messieurs mes fils, dit encore le vieillard d’une voix altérée…