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comment conquérir la belle comtesse, il convient de nous expliquer loyalement… Moi, d’abord, j’ai des droits acquis… Ne froncez pas le sourcil, messieurs de Carhoat ; votre père pourra vous dire que j’étais sur les rangs avec monsieur le comte de Landal et que ma partie, dès ce temps, n’était point trop désespérée.

— Qu’importe cela ! demanda Laurent brusquement.

— Vieille histoire ! dit Philippe.

Tous deux avaient perdu en même temps leur gaieté revenue et rouvraient leur esprit à des pensées hostiles.

Prégent seul gardait sa belle indifférence. — De temps à autre il haussait les épaules par manière d’acquit et disait : Bah ! pour fournir son contingent à la conversation.

— Vieille histoire tant que vous voudrez, reprit le chevalier ; — mais qui prouve, à tout le moins, que mes prétentions sont antérieures aux vôtres, et que ce n’est pas moi qui marche sur vos brisées.

Philippe but un grand verre d’eau-de-vie.

— Écoutez ! s’écria-t-il, Kérizat est un bon diable, mais un jour ou l’autre, il faudra bien que Carhoat le tue !

Le chevalier tressaillit involontairement.

— C’est clair comme le jour, reprit Philippe avec une onction d’homme ivre.

— Nous vous devons cela, chevalier, et nous vous le payerons… Voici ce que je propose, moi… enlevons d’abord la comtesse Anne, et puis nous tirerons au sort, Prégent, Laurent et moi, à qui tuera le chevalier.

Celui-ci avait eu le temps de se remettre, et appela sur ses lèvres un hautain sourire.

— Mon jeune monsieur, répondit-il, le jeu que vous proposez là est par trop à mon avantage… car je pense qu’il s’agit d’un duel et non point d’un assassinat.

— Assurément, assurément, répliquèrent à la fois Philippe et Laurent.

Prégent crut devoir entonner une chanson à boire.

Le vieux Carhoat essayait des paroles de conciliation, et sa honteuse faiblesse donnait un démenti frappant à l’énergie de son visage.

Ç’avait été un fier soldat autrefois, et son cœur vaillant répondait en ce temps à la loyauté de son visage.

Mais ses traits seuls étaient restés nobles et beaux. — Ils mentaient, puisque derrière eux, il n’y avait plus de cœur.

— Vrai Dieu ! mes jeunes messieurs, reprit Kérizat, avec vous comme avec d’autres, je serai toujours prêt à mettre au vent ma rapière… mais en considération de mon vieux compagnon que voici, je vous le répète, vis-à-vis de moi, c’est là un jeu de dupe.

— C’est ce qu’il faudra bien voir ! dirent Philippe et Laurent.

— Je vous propose un autre jeu, reprit le chevalier, et comme j’y suis encore trop fort pour vous, ce sera mon vieux camarade qui tiendra ma partie… Jouons la comtesse aux dés !…