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Il y avait, Dieu me pardonne, des galants nocturnes sous le balcon de ces dames… j’ai vu deux hommes s’enfuir et une fenêtre se refermer.

Les figures des trois jeunes gens s’allongèrent.

— Il faut se hâter, murmura le vieux Carhoat, — sinon nous arriverons trop tard !

— Ça se pourrait bien, grommela Francm Renard qui dormait à demi dans un coin.

— Vous avez raison, mon vieux camarade, reprit Kérizat. — Il faut se hâter. Telle était déjà mon idée en enfilant l’avenue de Presmes pour me rendre auprès de vous… Je marchais vite, enveloppé dans mon manteau, et combinant un peu le plan de nos opérations ultérieures, lorsque j’ai entendu un pas très-distinctement derrière moi, dans le taillis… Quand je m’arrêtais, ce diable de pas s’arrêtait aussi… Quand je reprenais ma route, il faisait de même… Ce n’était point un écho, soyez sûrs… Si j’avais pu le voir, et lui mettre mon épée dans le ventre, ç’aurait été assurément le plus simple ; mais joignez donc un homme qui se cache, la nuit dans un taillis !… Vers le milieu de l’avenue, j’ai cessé tout-à-coup de l’entendre ; néanmoins, ma conviction, en arrivant au rocher de Marlet, était qu’il me suivait encore… Dans cette circonstance, entrer chez vous tout bonnement par la porte, c’était trahir une visite que nous avons, vous et moi, un intérêt égal à cacher…

— Pourquoi nous ? demanda Laurent d’un air incrédule.

— Parce que, mon jeune maître, répondit Kérizat, — si vous jouissez jamais d’une part du revenu de Presmes, ce sera par mon entremise… Au lieu donc de frapper à votre porte, j’ai monté le sentier du rocher ; j’ai gagné la plate-forme et je suis entré par le trou…

— S’il vous avait vu ?… dit le vieux Carhoat.

— Attendez donc !… je ne m’étais point trompé, il me suivait de près… À peine avais-je remis en place la bascule, que j’ai entendu des pas sur la plateforme… C’était très-divertissant !… il tournait, tâtait le roc avec son épée, et il disait : « Le malheureux sera tombé en bas du rocher ! » Je crois même qu’il a marmotté un De profundis à mon intention… Pendant cela, vous chantiez à tue-tête un Ann hini goz[1], comme de joyeux vivants que vous êtes… Et maintenant, messieurs, ajouta-t-il, — en s’adressant plus particulièrement aux jeunes gens, — mettons de côté toute discussion et occupons-nous des moyens d’arri-

  1. Le plus populaire de tous les chants bretons. C’est une naïve satire qui prouve que l’amour de l’or est aussi développé chez les gars en sabots du Finistère que chez nos dandys calculateurs du boulevard de Gand. Un seul couplet, traduit mot à mot, résumera ce chant. Le don Juan armoricain veut faire une fin et dit :

    La jeune est bien jolie :
    La vieille a de l’argent ;
    La vieille est mon amie,
    Ah ! oui vraiment.