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— Ce qui est tout un, répéta le vieillard en riant. — Pour en revenir, il est évident que nous n’avons pas deux moyens de sortir d’embarras… Il faut que Carhoat soit encore une pépinière de riches seigneurs… La misère nous avilit ; l’argent nous relèvera… Vous êtes assez beaux garçons, enfants, pour faire figure ans le monde… Petit René sera un page comme le roi n’en a pas souvent… Et votre frère Martel…

— Ah ! dit Philippe, celui-là a pris le bon lot… il a gardé son épée de gentilhomme !… Que Dieu le bénisse !

Le vieux marquis, Laurent et Philippe choquèrent leurs verres en répétant : Que Dieu le bénisse !

Quant à Prégent, il haussa les épaules en murmurant son éternel : Bah !

— Oui, oui, reprit le vieillard, — Martel est un bon cœur… Eh bien ! il ne lui manque que quelques louis de plus dans sa bourse pour faire son chemin… car il est Carhoat, morbleu !… et Carhoat de Bretagne vaut Montmorency de France et Howard d’Angleterre !… Nous lui ferons une pension de quelque vingt mille écus, et il deviendra brigadier des armées pour le moins… Le principal, c’est d’enlever les deux filles du vieux fou et de savoir qui d’entre vous les épousera.

— Moi, dit Prégent, je veux la comtesse Anne.

— Un instant, répliqua Laurent, je suis l’aîné, c’est à moi de choisir…

— Il n’y a pas de choix qui tienne ! dit Philippe ; — la comtesse Anne me plaît ; elle ne sera ni à Prégent ni à Laurent… je la veux !

— Allons ! allons ! s’écria le vieillard moitié riant, moitié irrité. — Attendez pour vous disputer que la comtesse soit entre nos mains !

Mais les trois frères s’étaient levés et se provoquaient du regard.

— Je crois, Dieu me pardonne, qu’ils vont se battre ! dit le vieux Carhoat.

— Ça se pourrait bien, grommela Francin Renard.

En ce moment, un objet indistinct vint se poser sur celle des marches de l’escalier qui disparaissait dans l’ombre.

Un second objet de même forme et de même volume s’abaissa lentement et se mit auprès du premier.

Celui-ci reprit alors son mouvement et descendit, sans bruit toujours, sur la marche suivante, éclairée davantage. Le second objet l’y suivit.

Lorsque le premier se posa sur la troisième marche, la lumière arrivant jusqu’à lui, éclaira plus distinctement sa forme et montra une botte molle en cuir de couleur naturelle.

La jambe qui chaussait cette botte disparaissait presque dans l’ombre ; et le corps s’y cachait complètement. — Le tout s’arrêta sur la troisième marche.

— Je maintiendrai mon droit ! reprit Laurent. — Vous êtes cadets ; vous venez après moi.

— Je me moque de votre droit et de vous, monsieur mon frère ! s’écria Prégent.