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vaillamment ; Philippe et Laurent, animés par le bruit, firent bientôt chorus, et la voix nasillarde de Francin Renard compléta l’harmonie.

Mais quand la chanson apportée du bon pays de Morlaix fut finie, un silence se fit dans le souterrain, et cette gaîté factice tomba lourdement à plat.

Y avait-il au fond de ces cœurs déchus un sentiment vengeur de remords ou le regret ?

— Plus d’argent, reprit Laurent ; — plus de femmes !… Où est le temps où nous choisissions entre les plus belles filles de Rennes, et où cette cave froide devenait la nuit un palais ?

Prégent et Philippe poussèrent un douloureux soupir.

— C’était le bon temps ! murmurèrent-ils.

— Sans doute, sans doute, répéta le vieux marquis ; mais je pense bien que le trou pourra redevenir un palais, et que nous aurons encore du velours et du satin autour de cette table… Allons, enfants ! allons, morbleu, du cœur ! N’avons-nous pas là, tout près, de l’autre côté de la montée, cent cinquante mille écus de rentes que nous partagerons bien quelque jour !

Les trois jeunes gens secouèrent la tête d’un air incrédule.

— Il ne s’agit que de s’y bien prendre, poursuivit le vieillard ; — il y a une manière de garnison au château de Presmes, c’est vrai… mais avec une trentaine de lurons et quelques petites intelligences dans la place, on ferait le coup tout doucement.

— Eh bien ! dit Philippe, — pourquoi ne pas tenter la chance tout de suite.

— Ah ! mon garçon, répliqua le marquis, — te voilà maintenant qui vas trop vite… il faut de l’argent pour les trente hommes, et il faut de l’argent pour ménager les petites intelligences dont je parlais tout à l’heure… or, nous n’avons point d’argent !

— Pas d’argent ! répétèrent tristement les trois Carhoat.

— Sauf respect de vous, nos maîtres, dit Francin Renard en se frottant le menton, — il y aurait pourtant bien moyen d’avoir de l’argent, sans se fatiguer comme vous faites.

Le vieillard et les trois jeunes gens interrogèrent à la fois Renard d’un air curieux.

Celui-ci baissa les yeux sous ces regards croisés et continua d’une voix plus basse :

— Pardié ! nos messieurs… il y a là-bas à Rennes, notre demoiselle qui gagne les écus à boisseaux…

Ce mot, jeté parmi l’orgie, mit de la pâleur sur tous les visages.

— Tais-toi ! dit Carhoat d’une voix altérée.

Les trois jeunes gens baissèrent la tête, — le vieillard regardait Francin d’un air menaçant.

Celui-ci, effrayé de l’effet qu’il avait produit, demeurait bouche béante et cherchait des paroles d’excuse…