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Elle avait ouvert sa fenêtre pour donner son front, qui brûlait, à la brise des nuits, rafraîchie par l’orage.

Le ciel était si beau ! l’air si pur ! et le silence si vaste ! — Toute vierge possède un trésor de poétiques harmonies. Son âme vibre au contact de Dieu, qui se révèle incessamment derrière le grand spectacle de la nature.

Lucienne écoutait, regardait, sentait. — Ces murmures traversant le silence, le firmament splendide, et les âpres parfums que le vent apportait cueillis aux cimes des chênes de la forêt, toutes ces choses l’impressionnaient et mettaient une sérieuse émotion parmi sa rêverie.

Puis c’étaient de mélancoliques pensées qui ramenaient sa contemplation à la terre, et rabaissaient sa paupière élevée vers le ciel.

Martel voyait ces mêmes étoiles. — Mais ce vent portait-il jusqu’à lui le sauvage parfum des forêts paternelles ?

Le fracas de Paris et ses joies nocturnes lui laissaient-ils souvenir de ces doux bruits qui s’entendent la nuit aux bruyères de Bretagne ?

Martel ! oh ! qu’il était aimé !

Tandis que Lucienne s’appuyait au balcon de fer de sa fenêtre, il se fit un bruit léger sur le sable des allées.

Elle tourna vivement les yeux du côté d’où venait le bruit, et crut voir la silhouette élancée d’un soldat, dont l’uniforme faisait luire faiblement dans l’obscurité ses broderies dorées.

Il semblait que le rêve de Lucienne prît une forme, — car, à cet instant même, elle se représentait justement Martel comme il devait être à Paris, avec son brillant costume de garde-française dont les bandes d’or parallèles ressortaient sur l’azur sombre du justaucorps échancré.

Elle se le représentait riche, heureux et commandant à ses rivaux.

Il est une croyance en Bretagne dont la superstitieuse poésie reste debout de siècle en siècle et délie la lumière qui se fait de toute part. — L’homme qui meurt loin de ceux qu’il aime leur envoie, avant de quitter la terre, un adieu suprême.

Tantôt on entend sa voix connue, tantôt la brise murmure le chant qu’il aimait à répéter. — D’autres fois, son portrait s’agite, appendu au lambris du salon paternel. D’autres fois encore, une main mystérieuse dérange les draps de sa couche abandonnée. — D’autres fois, enfin, il vient lui-même et vous le voyez glisser silencieux et triste par les ténèbres muettes…

Une angoisse mortelle serra le cœur de la pauvre Lucienne. L’amour a toutes les superstitions. Elle crut que Martel était mort.

Ses jambes se dérobèrent sous le poids de son corps affaissé : elle chancela et n’eut que la force de se retenir à la barre de fer du balcon.

— Martel, Martel ! murmura-t-elle d’une voix mourante.

À ce cri, le prétendu fantôme s’élança hors des massifs et vint tomber à genoux au pied de la fenêtre.