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M. de Presmes, au lieu de répondre, fit signe à un vieux prêtre qui s’asseyait au bas bout de la table, et celui-ci prononça les versets latins du Benedicite.

Pendant les quelques minutes qui suivirent, tout le monde attaqua vaillamment tous les mets substantiels étalés sur la table.

C’était un digne repas pour des chasseurs et des voyageurs. Les étables, la bergerie et la basse-cour y étaient copieusement représentées. Le cidre moussait dans des bouteilles de grès dépoli, au ventre informe et bosselé ; — çà et là le goulot élancé d’un flacon de bordeaux se dressait au milieu des bouteilles trapues comme un peuplier svelte parmi des chênes rabougris.

On ne méprisait point le vin de Gironde, mais toutes les préférences, il faut bien le dire, étaient pour le cidre généreux dont le gaz impatient lançait les bouchons au plafond.

Au bout de dix minutes environ, les deux hobereaux commencèrent à soupirer à l’envi l’un de l’autre. Penchou se pencha à l’oreille de la comtesse Anne pour lui parler de l’orage.

Corentin Jaunin de la Baguenaudays poussa la témérité jusqu’à dire à Lucienne qu’après une journée de chasse, le potage est quelque chose d’excellent.

Le chevalier de Briant fut plus longtemps à prendre la parole. Il venait de loin et, de Paris à Rennes en ce temps, les auberges étaient plus abominables encore qu’aujourd’hui.

Cependant il n’attendit point au dessert. Lorsqu’il eut mangé une tranche de bœuf et deux de mouton, une aile de poulet, une cuisse de canard avec quelques menus accessoires, il but un grand verre de bordeaux et donna trêve à sa fourchette.

— Cousinez-vous avec M. Honoré du Fouilloux, conseiller au nouveau parlement, monsieur mon ami ? demanda-t-il ex abrupto.

Monsieur de Presmes tourna vers lui un regard moitié défiant, moitié curieux.

— Je n’ai jamais entendu parler de lui, répondit-il.

— Ah ! fit le chevalier.

Il se versa un verre de vin et reprit :

— Je croyais… mais ce dont je suis bien sûr, c’est d’avoir causé de vous, deux heures durant, avec le colonel d’Yauville… un charmant cavalier qui se dit votre parent.

— M. d’Yauville, répéta le bonhomme, en rougissant de plaisir. — Le fils du premier veneur !

— Son propre fils, monsieur mon ami.

— Il se réclame de notre parenté ?

— Comme un diable, monsieur mon ami ! Je crus devoir lui dire que vous ne m’aviez fait part…

— Mais si fait, mais si fait ! s’écria le capitaine des chasses, — d’Yauville est notre parent… Voici, vis-à-vis de vous, le portrait de monsieur son père. Ah !