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— Ah ! tu savais cela !…

— Ma fâ ian, répondit Yvon.

— Alors, méchant coquin, c’est toi qui m’as fêlé le crâne d’un coup de bâton certain soir derrière l’église de Thorigné !

Une lueur maligne brilla dans les gros yeux d’Yvon qui répondit :

— Ma fâ ian !… — Il entraîna le cheval et passa la porte des écuries.

— Un vertueux coup de bâton ! grommela le chevalier en se tâtant le crâne sous son feutre ; — j’en porte encore la marque !…

La pluie commençait à tomber avec violence. Le chevalier monta le perron et s’introduisit dans le vestibule.

Au bout de quelques minutes on entendit sur la montée le bruit de la cavalcade que l’on ne voyait point encore.

Puis les piqueurs débouchèrent en haut de l’avenue. La grille s’ouvrit à deux battants. Valets et gentilshommes, trempés par l’averse, se précipitèrent dans la cour. M. de Presmes, qui arrivait sur son bon cheval avec sa trompe en bandoulière, essaya un instant de mettre de l’ordre dans la retraite, mais en toute bataille perdue, il arrive un moment où le meilieur général ne peut arrêter les fuyards. — La déroute était complète. Chacun se débandait, cherchant un abri sous les hangars, dans le vestibule, partout où se trouvait une porte ouverte.

Il ne resta au milieu de la cour pour attendre les dames, que le vieux Presmes et deux des gentilshommes qui avaient suivi la chasse.

L’un de ces gentilhommes était un gros garçon trapu, membru, crépu, qui portait sur ses épaules une manière de pourpoint gris à grands boutons d’agate sablée. Ce gros garçon avait des sourcils farouches sur de petits yeux bleus débonnaires. Il était gauche en ses mouvements et présentait à peu près au complet en sa personne les diverses séductions du hobereau campagnard.

Il avait nom M. Hugues de Penchou, et il était baron.

L’autre se nommait Corentin Jaunin de la Baguenaudays.

C’était un long chrétien, blanc et rose, droit comme un piquet, avec d’énormes cheveux blonds frisés. Il avait un peu de barbe déteinte et sept poils de moustaches incolores qu’il relevait en croc volontiers.

En Bretagne et à Paris, Corentin Jaunin de la Baguenaudays eût passé pour joli garçon auprès de beaucoup de cuisinières.

Le baron de Penchou et lui présentaient un de ces grotesques contrastes qu’aime à saisir le spirituel et mordant crayon de Bertall. — Rien qu’à les voir on se sentait en joie, et s’ils parlaient, la farce était complète.

Lorsque la voiture découverte qui contenait les deux filles de monsieur de Presmes arriva dans la cour, nos deux gentilshommes s’avancèrent pour offrir leurs services ; — M. de la Baguenaudays présenta sa main à la jolie Lucienne, dont les cheveux inondés ruisselaient sur ses blanches épaules.

Le baron Hugues de Penchou fit le même office auprès de la comtesse Anne.

Les deux couples traversèrent la cour qui était transformée en lac et se hâ-