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cette race dont la fierté sut toujours fléchir, prospéraient sur le terrain nouveau de la cour, les Carhoat, Bretons de la vieille roche, durs et droits comme leur épée, se roidissaient contre les envahissements du pouvoir royal, et soutenaient, infatigables, les privilèges de la province.

Ce n’était pas le moyen de faire son chemin. — À ce jeu, moururent ou s’amoindrirent les plus belles races bretonnes : les juveigneurs de Vitré, Avaugour, descendants de Porhoët, Poulduc, Rieux, Talhoët, et tant d’autres.

Alain Guern, marquis de Carhoat, était un esprit faible et entêté, ambitieux, sans avoir les qualités qui font de l’ambition une vertu, prodigue, brouillon, brave comme tout gentilhomme breton, mais d’une bravoure irféfléchie et de soldat. — À l’époque où il fut nommé député aux états de Bretagne, il possédait encore le château de Carhoat, entre Morlaix et les montagnes d’Arrez, et vingt mille livres de revenu.

Au bout de deux ans, il avait vendu son château. Les vingt mille livres de revenu s’en allèrent, on peut deviner comme…

Il prétendait marcher de pair avec les plus riches. Ses amis de plaisirs étaient le marquis Coetquen-Combourg, président des réunions de la noblesse, l’intendant royal de l’impôt, dont la fortune se comptait par millions de livres, le lieutenant de roi qui, en l’absence du gouverneur, était le personnage le plus important de la province, et M. de Presmes qui possédait six manoirs dans le pays de Rennes.

Quand il eut mangé toute sa fortune, il emprunta, et, comme ses amis, à part l’intendant royal, étaient aussi généreux qu’opulents, cette ressource lui dura fort longtemps. — Elle n’était pas encore épuisée, tant s’en faut, lorsqu’arriva de Quimper un gentilhomme bas-breton, entre deux âges, qui devint aussitôt son plus intime compagnon.

Ce gentilhomme se nommait M. de Kérizat. — C’était bien le plus aimable vivant que l’on pût voir.

Il était fort bel homme, spirituel on ne peut plus, fat autant qu’il faut l’être auprès de certaines femmes, galante lame et ferme sur la hanche, vert diseur, conteur audacieux, heureux, joyeux, précieux, capricieux, et sachant accoupler, comme pas un, les rois et les as au noble jeu de lansquenet.

Ce charmant mortel prenait dans les poches de Carhoat l’argent que lui prêtaient Coetquen, Presmes et le lieutenant de roi. — Ce qui n’empêchait point le même homme ravissant de puiser directement dans les poches du lieutenant de roi, de Coetquen et de Presmes.

Martel, presque enfant encore et sans cesse éloigné de sa famille, ne savait rien de toutes ces choses. Il suivait ses études à Brest et réunissait toutes ses affctions sur sa sœur Laure qui était une enfant douce et fière, et belle comme un ange.

En sortant, lui de l’académie, elle de son couvent, ils vinrent à Rennes.