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Martel rougit ; sa tête se pencha sur sa poitrine.

— Et René ? dit-il, — est-ce que René vous a aussi insultée ?

Bleuette rougit à son tour. Ses grands yeux noirs se baissèrent.

— Oh ! René, répondit-elle ; — le pauvre enfant !… Il a le cœur aussi noble que vous, Martel… S’il pouvait me défendre, je n’aurais pas besoin de m’enfuir… et malgré sa faiblesse, il m’a protégée plus d’une fois, car s’il y a encore un bon sentiment au fond de l’âme de vos frères, c’est la tendresse qu’ils lui portent… Il n’ose pas entrer dans la maison de Jean Tual ; mais il vient jusqu’à l’angle du rocher… il me regarde… il m’écoute chanter la complainte… C’est un enfant Martel ; quand je le vois rester de longues heures à me contempler de loin, quand j’entends son pas léger et timide me suivre sous le taillis, cela me rend triste… je crois qu’il m’aime.

— Et ne l’aimez-vous pas, vous, Bleuette ? demanda Martel.

Bleuette ne répondit point.

Ils étaient assis tout près l’un de l’autre ; leurs mains se joignaient, leurs visages se touchaient presque. — Vous les eussiez pris pour deux amants dans la joie du retour.

Jean Tual le jugeait ainsi.

Depuis quelques minutes, il les regardait avidement. Son œil plein de défiance cherchait à deviner leurs paroles.

Le regard de Martel croisa le sien par hasard, et le garde-française comprit sur-le-champ la muette angoisse du gruyer.

Il se leva, traversa la chambre et lui tendit la main.

Il y avait sur son noble visage une franchise haute et digne.

Le gruyer, pris à l’improviste par ce mouvement, détourna la tête avec embarras.

— Maître Tual, dit Martel, ne vous souvenez-vous plus de moi ?

Le bonhomme releva ses yeux sur lui. Il hésitait. Sa main ne se pressait point de joindre celle que lui tendait Martel.

— Bleuette est ma sœur, reprit celui-ci ; — ne voulez-vous plus que je l’aime ?

L’hésitation de Jean Tual dura encore une seconde, puis si paupière clignota, et ses deux mains se levèrent à la fois pour saisir la main du jeune homme.

— Cet œil-là ne peut pas mentir, dit-il ; — et après tout, Carhoat, je sais bien que vous êtes un bon cœur… et puis… l’enfant ne peut pas se tromper… j’ai tort.

Il lança un regard contrit du côté de Bleuette.

— J’ai tort, répéta-t-il d’un ton bourru. — On ne peut pas mieux dire… Causez tant que vous voudrez, garçailles, je ne me mêle plus de vous !…

Il serra vigoureusement la main de Martel, prit son tournevis pour démonter le chien de son fusil, et se donna tout entier à sa besogne.

Bleuette alla lui mettre un gros baiser sur le front.