Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/664

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une amertume profonde, et tout son être semblait plier sous le fardeau douloureux de ses réflexions.

— Je m’étais dit : Je reviendrai digne d’elle, murmura-t-il. Que mes espoirs étaient riants et beaux !… Que l’avenir était vaste !… J’étais fort… j’étais brave… j’avais le nom d’un gentilhomme !… La fortune que je ne possédais point, mon épée pouvait me la gagner.

Il s’interrompit et jeta sur son uniforme un regard découragé.

— Que de bonheur et que d’orgueil le jour où j’endossai mon habit de soldat ! poursuivit-il. — C’était un noble rêve !… Je croyais à la gloire, pour monter jusqu’à mon amour… Mon Dieu ! la vie m’eût-elle été trop chère ?… Me voici retombé plus bas que le premier échelon dont j’étais parti… Me voici rejeté plus loin d’elle… Et cette fois, mon Dieu ! vous ne me laissez point d’espoir !…

Il passait en ce moment non loin de la cabane où venaient d’entrer Carhoat et ses fils.

À travers les arbres, il voyait ses murailles enfumées et sa toiture basse où la mousse croissait sur les ardoises.

Il détourna la tête et changea de route.

Le crépuscule du soir commençait à tomber ; le ciel orageux montrait, entre ses nuages noirs, de larges flaques d’un bleu obscur. Le vent secouait les feuilles jaunies qui tombaient par centaines et jonchaient de tous côtés le sol.

Le garde-française, sans suivre désormais aucun chemin battu, gravit la rampe de manière à tourner le rocher de Marlet.

Après quelques minutes d’une montée pénible, il arriva au sommet de la colline, plus élevé que le faite même du roc et dominant immédiatement le coude de la vallée.

Ici, l’aspect changeait brusquement. L’horizon s’élargissait dans tous les sens, et le paysage agrandi prenait une teinte plus riante.

Sous les pieds de Martel, du côté de l’orient, la colline se coupait à pic, laissant un large espace entre sa base et la Vanvre qui remontait en ligne presque directe.

Le cours de la petite rivière se marquait au milieu des prairies, dont la nuit tombante assombrissait la verdure, par une double rangée de vieux saules dont les troncs rabougris supportaient de longs panaches de branchages. À la droite de Martel, la rampe où était situé le château de Presmes fléchissait et mettait ses taillis presque au ras de la plaine. À gauche, au contraire, la colline s’élançait abrupte, couronnée de grands arbres, entre lesquels le roc se montrait toujours çà et là.

Sous ses pieds une petite maison s’élevait, à une centaine de pas du rocher de Marlet. Elle touchait au taillis d’un côté, de l’autre à la prairie.

Derrière la maison, un verger planté de pommiers rejoignait la Vanvre qui