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cabaret de la Mère-Noire, dans la rue du Champ-Dolent… Pour cent livres j’en aurai trente…

— Mais les cent livres ?… interrompit Renard.

— Cent livres se trouvent sous le pas d’un cheval ! répondit le vieillard qui caressa le canon de sa carabine.

À ce geste et à ce mot, la figure du garde-française se couvrit d’une rougeur plus épaisse, son œil se baissa comme si un lourd poids de honte eût pesé sur sa paupière.

— D’ailleurs, reprit Carhoat, les enfants ont été en campagne… Ils vont peut-être rapporter plus de louis qu’il ne nous faut de livres.

— Mes frères aussi ! murmura Martel.

En ce moment un chœur de voix rudes et fortes se fit entendre vers l’endroit ou la route de Saint-Aubin-du-Cormier coupait le sommet de la rampe.

— Voici les garçons ! dit Carhoat.

Les nouveaux arrivants chantaient à l’unisson et à tue-tête :

Perrine, ma Perrine,
Lon li, lon la,
La deri deri dera,
Perrine, ma Perrine,
Où sont les veaux allés ?…[1]

Carhoat et le paysan tournèrent autour de la pierre, pour se diriger vers le haut de la rampe à la rencontre des garçons.

Ce mouvement les mit en face du pauvre cheval de Martel qui soufflait, les naseaux dans l’herbe mouillée.

— Tiens, tiens ! dit Renard, m’est avis que nous n’étions pas seuls.

Le vieux Carhoat fit rapidement le tour de la pierre, et sonda les buissons avec le canon de sa carabine ; puis il revint vers le cheval.

— Ce n’est pas du pays, ça ! murmura-t-il entre ses dents ; ce manteau n’a été coupé ni à Vitré ni à Rennes !… Corbleu ! j’ai droit d’aubaine sur tout ce qui passe dans le bois de Marlet… Au diable le coquin qui a éreinté cette pauvre rosse… S’il m’entend, qu’il vienne, je vais le coucher le long du ventre de son cheval !

Cette bravade, prononcée à haute voix, demeura sans réponse.

— Emmène la bête, ami Francin, poursuivit Carhoat, — je te la donne. Moi je prends le manteau… j’en ferai faire un habit complet à mon petit René pour cet hiver.

Les garçons continuaient de chanter sur la montée et à la fin de chaque couplet ils criaient :

  1. Cette chanson du pays de Rennes n’a pas moins de cent vingt couplets. Chacun d’eux est aussi remarquable, sous la rapport de la poésie, que le spécimen mis par nous sous les yeux de nos lecteurs.