Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/649

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il est l’heure de faire collation, et je ne suis vraiment pas fâché d’arriver… Si les bêtes parlaient, mon compagnon, je voudrais gager que votre monture en dirait tout autant que moi.

Le jeune homme regarda le cou tendu de son cheval, dont les jambes pliaient harassées.

— Je suis, moi aussi, monsieur, répliqua-t-il, au terme de mon voyage.

— Bah ! vraiment ? s’écria le premier interlocuteur, est-ce que le hasard m’aurait fait rencontrer un convive ?…

Il éleva la main et montra les cheminées du château qui disparaissaient à moitié derrière le sommet de la colline opposée.

— Je ne vais point au château de Presmes, répondit le jeune homme dont la joue se colora d’une rougeur fugitive.

— Vous le connaissez, du moins, à ce qu’il paraît !… Eh bien, mon jeune maître, si vous n’y allez pas, tant pis pour moi et tant pis pour vous !… pour moi, parce que vous êtes un charmant compagnon, quoiqu’un peu bien mélancolique… pour vous, parce que le vieux veneur est assurément l’hôte le plus commode qui se puisse rencontrer… et parce que la comtesse Anne et mademoiselle de Presmes sont deux adorables créatures, si mes quarante-cinq ans m’ont laissé le droit de donner mon avis sur les dames.

Le jeune homme rougit davantage et ne répondit point.

L’autre poussa son cheval.

— Ah ! ah ! reprit-il gaillardement, — c’est un bon sang que celui de Rennes !… Je n’ai point vu à Paris d’aussi charmantes enchanteresses que les filles de messieurs des États de Bretagne !… Tudieu, mon jeune maître, quels yeux, quels teints !… Rencontrâtes-vous quelquefois par hasard une divinité, aux longs cheveux blonds et aux grands yeux noirs, que les gentilshommes rennais appellent la Topaze ?

— Non, répliqua brusquement le jeune cavalier.

— Elle a bien un autre nom, poursuivit l’enthousiaste voyageur, — mais il ne m’appartient pas de le prononcer. Si vous la voyiez, mon jeune ami, vous en deviendriez fou… C’est la règle.

Le jeune cavalier mit sa main devant son visage qui était pourpre.

En arrivant à la tête du pont de planches, il s’arrêta.

— C’est ici que nous nous séparons, monsieur, dit-il.

— Déjà ! s’écria le gentilhomme d’un ton de cordiale bienveillance ; — mon jeune maître, j’en suis fâché… Mais, puisque vous vous arrêtez dans les environs, j’espère que nous pourrons nous revoir… Vous plaît-il que nous échangions nos noms ?…

Le jeune homme baissa les yeux avec embarras.

— Je ne puis vous dire le mien, murmura-t-il.

— Non ?… Eh bien ! à la bonne heure, mon jeune camarade !… Chacun a ses petits secrets… Moi, Dieu merci, je puis dire mon nom à mes amis comme