Page:Féval - Le Fils du diable - Tomes 3-4.djvu/595

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Olive se pinça les lèvres et foudroya son frère du regard.

— Cela n’expliquerait pas pourquoi il a répandu son vin de Guyenne, dit Béchameil avec son habituelle naïveté.

— Nous lui passerons tout cela en faveur de son titre d’officier du roi, reprit joyeusement le maître de la Tremlays, et nous pousserons l’attention jusqu’à le faire emporter dans son fauteuil, afin de ne point troubler son sommeil.

Deux valets en effet soulevèrent le siège de Didier et l’emportèrent, toujours dormant, à sa chambre. Cela réjouit fort M. de Béchameil et l’officier rennais, qui jura sur son honneur que M. de Vaunoy savait exercer l’hospitalité dans les formes.

Didier ne s’éveilla point durant le trajet. Les deux valets le déposèrent endormi sur son lit et se retirèrent.

Une heure après environ, un bruit terrible se fit autour du château. Les portes furent attaquées toutes à la fois, et brisées d’autant plus facilement qu’il ne se présenta personne pour les défendre.

Par une fatalité singulière, sergents et soldats de la maréchaussée se trouvaient casernés dans une grange qu’on avait fermée en dehors. — Une seule personne fit résistance, ce fut la vieille Goton qui, après avoir inutilement essayé de relever le courage de maître Simonnet et des autres valets de Vaunoy, saisit bravement un mousquet, et fit le coup de feu par la fenêtre de la cuisine.

Au moment où l’on entendit les premiers bruits de cette attaque inopinée et furieuse, Vaunoy était dans son appartement avec maître Alain, Lapierre et deux autres valets armés.

— Voici l’instant, dit-il avec un certain trouble dans la voix ; — il dort et vous êtes quatre… Saint-Dieu ! ne me le manquez pas cette fois.

— Je m’en chargerai tout seul, reprit Lapierre, et, en vérité, ce jeune fou prend à tâche de me donner envie de le tuer… Voilà deux fois qu’il me foule aux pieds depuis hier… La vengeance m’importe peu, mais j’aurais un certain plaisir…

— Trêve de paroles ! interrompit Vaunoy ; — à vous le capitaine, à moi les Loups !…

Les quatre estafiers s’engagèrent dans le long corridor qui conduisait à la chambre de Didier. Lapierre marchait le premier, épée nue dans la main droite, poignard dans la gauche. Maître Alain venait le dernier, ce qui lui donna occasion de dire, sans être aperçu, un mot à sa bouteille carrée.

— Attention ! dit Lapierre en arrivant à la porte, je vais frapper ; s’il s’éveille, par le plus grand des hasards, vous me soutiendrez.

Il entra. Une obscurité profonde régnait dans la chambre de Didier. Lapierre s’avança doucement ; et, lorsqu’il se crut à la portée du lit, il leva son épée.

Une autre épée arrêta la sienne dans l’ombre. Lapierre recula étonné.

— Lève la lanterne, Jacques, dit-il à un des estafiers.

Celui-ci obéit, et nos quatre assassins aperçurent debout, devant le lit de