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On versait les vins du midi, ce qui semblait causer a Béchameil et à l’officier rennais une fort notable satisfaction.

Didier tendit son verre par-dessus son épaule. Ce fut Lapierre qui versa. Vaunoy et lui échangèrent un rapide coup d’œil. Mais, au moment de porter le verre à ses lèvres, Didier se tourna brusquement et regarda Lapierre en face. Le saltimbanque émérite soutint parfaitement ce regard, et demeura, sans sourciller, à la position du laquais derrière la chaise de son maître.

Didier répandit ostensiblement le contenu de son verre sur le parquet, et fit à Lapierre un signe impérieux de s’éloigner, ce que celui-ci exécuta aussitôt en s’inclinant avec un feint respect.

Vaunoy était devenu pâle.

— Notre vin de Guyenne ne plaît pas au capitaine Didier ? demanda-t-il en s’efforçant de sourire. — Ne parlez pas ainsi, monsieur mon ami, interrompit Béchameil qui cherchait un bon mot depuis le potage, — ou M. le capitaine vous actionnera en calomnie devant notre parlement.

Cela dit, Béchameil crut devoir éclater de rire.

— Monsieur de Vaunoy, répondit le capitaine avec une froide politesse, veuillez m’excuser, s’il vous plaît… Veuillez surtout faire en sorte que cet homme ne m’approche jamais… J’ai mes raisons pour parler ainsi, monsieur de Vaunoy.

— Sortez, Lapierre ! dit le maître de la Tremlays. Mon jeune ami, ajouta-t-il, choisissez, je vous en supplie, entre tous mes valets. Vous plaît-il être servi par mon majordome en personne ?

C’était littéralement tomber de Charybde en Scylla, car Lapierre, en sortant, avait remis au majordome le flacon qu’il tenait à la main. Didier salua légèrement en signe d’acquiescement, et tendit son verre à maître Alain, qui l’emplit jusqu’aux bords.

— À la santé du roi ! dit le maître de la Tremlays en se levant.

Tous les convives l’imitèrent, excepté mademoiselle Olive, que sa qualité de dame dispensait de ce mouvement.

— À la santé du roi ! répéta Didier, qui but son verre d’un trait.

Un imperceptible sourire vint à la lèvre d’Hervé de Vaunoy. Il fit un signe à maître Alain. Celui-ci lança par la fenêtre le flacon qui avait servi à remplir le verre de Didier.

Nul ne remarqua cet incident, et le souper se poursuivit comme si de rien n’était.

Au bout de quelques minutes, Didier cessa tout à coup de répondre aux gracieuses prévenances dont l’accablait mademoiselle Olive. Sa tête oscilla lourdement sur ses épaules, ses paupières battirent comme pour chasser un irrésistible sommeil.

Olive, scandalisée, rentra en un digne silence ; ce qui permit au capitaine de s’endormir tout à fait.

— Saint-Dieu ! dit Vaunoy, notre jeune ami n’est pas aimable ce soir ! Il jette notre vin et s’endort à notre barbe… Lui auriez-vous conté une histoire, mademoiselle ma sœur ?