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Les autres approuvèrent du geste.

— Pourtant, reprit un vannier du nom de Livaudré, — faudrait au moins voir sa figure.

Simon Lion arracha brusquement le manteau du rôdeur, qui pencha sur sa poitrine un visage rond et plein, mais plus blême qu’un linceul.

Les quatre Loups reculèrent, frappés d’une commune et inexprimable surprise.

— Le maître de la Tremlays ! s’écrièrent-ils en même temps.

Vaunoy, c’était bien lui en effet, essaya de sourire, et parvint seulement à produire un convulsif clignement d’yeux.

— Le maître de la Tremlays en personne, mes bons amis.

— Nous ne sommes pas tes amis, murmura Livaudré d’une voix basse et menaçante. — Ignores-tu si complètement les sentiers de la forêt que tu aies pu prendre au hasard une route qui te conduisait droit à la mort ?

— Allons donc ! allons donc ! balbutia Vaunoy, vous raillez, mon joyeux camarade ; on ne tue pas ainsi un homme qui apporte une fortune avec lui.

Les Loups échangèrent un regard significatif, et Simon, d’un geste rapide, tâta les poches de Vaunoy.

— Tu mens, dit-il après examen fait, — aujourd’hui comme toujours… mais du diable si tu nous échappes cette fois !

La terreur de Vaunoy atteignait son comble et augmentait son danger, car il perdait le sens et la parole.

Livaudré détacha une corde roulée autour de sa ceinture et lança l’extrémité, formant nœud coulant, de manière à accrocher l’une des basses branches du chêne creux. La corde se noua du premier coup, et se balança tout auprès du visage de Vaunoy.

On ne peut dire que celui-ci se fût engagé à la légère dans sa périlleuse entreprise. Au contraire, il en avait laborieusement calculé toutes les chances, mais il avait compté sans sa poltronnerie, et sa poltronnerie allait le tuer.

Il était parti de la Tremlays dans un de ces moments de résolution désespérée où le plus lâche devient en quelque sorte le plus téméraire. Sa haine pour Didier, ou, pour parler mieux, l’envie passionnée qu’il avait de jeter hors de sa route cette pierre d’achoppement qui faisait incessamment obstacle à sa marche, lui avait caché une partie du danger, en lui montrant plus certaines qu’elles ne l’étaient les chances de réussite. Il ne pouvait rien par lui-même contre Didier, officier du roi et hôte officiel, et pourtant il fallait que Didier disparût. Il le fallait ; c’était une question de fortune qui pouvait devenir question de vie et de mort. Par une étrange destinée ce jeune soldat se trouvait fatalement en contact avec Vaunoy sur tous les points à la fois. L’amour d’Alix pour lui et son éloignement croissant pour Béchameil, qui était une conséquence naturelle de cet amour, eussent constitué seuls une cause d’inimitié bien suffisante ; car, à cette époque où le parlement s’occupait journellement de recherches de noblesse, il fallait que Vaunoy conquît à tout prix l’appui de l’intendant royal, d’où dépendait absolument la conservation de l’opulent héritage de Treml. Mais, à part ce motif, Vaunoy en avait un autre, plus impérieux encore, et nous ne dirons pas trop en affirmant que Didier et lui ne pouvaient exister ensemble sous le ciel.