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de la Tremlays, et travaillait avec distraction à un ouvrage de broderie. Mademoiselle Olive faisait de même ; mais cette recommandable personne avait eu soin de se placer entre trois glaces — de sorte que, de quelque côté qu’elle voulût bien tourner la tête, elle était sûre de se sourire à elle-même et d’apercevoir dans toute son ambitieuse majesté l’édifice imposant de sa coiffure. Chaque fois qu’elle tirait son aiguille, elle jetait à l’un des trois miroirs une œillade pleine de coquetterie que le miroir lui rendait fort exactement. Ce jeu innocent paraissait satisfaire on ne peut davantage mademoiselle Olive de Vaunoy ; mais c’était un jeu muet, et la langue de mademoiselle Olive était pour le moins aussi exigeante que ses yeux.

À plusieurs reprises, elle avait essayé déjà d’entamer une conversation avec sa nièce sur ses sujets favoris, savoir : les défauts du prochain, le plus ou moins de mérite des chiffons récemment arrivés de Rennes, et surtout les romans de mademoiselle de Scudéry, qui étaient encore à la mode en Bretagne.

Alix avait répondu par des monosyllabes et à contre-propos. Non seulement elle ne donnait pas la réplique, mais elle n’écoutait pas, chose cruellement mortifiante en soi pour tout interlocuteur, mais qui devient accablante pour une demoiselle d’un certain âge, prise du besoin de causer.

— Mon Dieu, mon enfant, dit enfin la tante après avoir fait effort pour garder un silence profond durant la majeure partie d’une minute, — ceci est intolérable… je vous conjure de me dire où vous avez l’esprit depuis une heure !

Alix releva lentement sur sa tante ses grands yeux fixes et distraits.

— Je pense comme vous, répondit-elle au hasard.

— Encore ! mais c’est de la rêverie, mon enfant ! auriez-vous donc ?…

Mademoiselle Olive avait lu la veille dans Clélie que la rêverie, doux et charmant symptôme, annonce l’amour. Elle fut sur le point défaire à ce sujet une question directe à sa nièce, mais elle n’osa pas. Le caractère ferme et digne d’Alix imposait quelque peu à la vieille demoiselle.

— Ma mignonne, reprit cette dernière avec une intention diplomatique bien marquée, ne trouvez-vous pas comme moi que c’est un charmant jeune homme ?

— Il faut que je le voie ! répondit résolument Alix.

— Le voir, mon amour, le voir ! Comment l’entendez-vous, je vous prie ? Il y a plusieurs sortes d’entrevues : la simple conversation, plaisir décent et que chacun se peut permettre ; l’entretien particulier, où deux âmes s’isolent au milieu de la foule… prenez garde, ma mignonne !… enfin le tête-à-tête, qui ne s’accorde qu’avec la plus extrême réserve et qu’une jeune fille ne doit point… Lui auriez-vous accordé un tête-à-tête, mon amour ?

Lorsque mademoiselle Olive parlait, sa nièce l’écoutait quelquefois avec une patience héroïque. Mais, ce jour-là, une invincible préoccupation absorbait Alix, et la longue tirade de sa tante passa par son ouïe sans produire d’autre effet qu’un vain bourdonnement.

— Je vous demande, mon amour, si vous avez eu l’impardonnable imprudence