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Il ne savait ; il voulait douter… mais la double vision approchait. Qu’ils étaient beaux et qu’ils étaient heureux !…

Une main d’acier broyait le cœur de Jean… c’était Gertraud, Gertraud toujours adorée, et ce jeune homme aux blonds cheveux qui souriait comme une femme et dont la voix insultait à son martyre !

Si Jean eût senti à ce moment le manche d’un couteau dans sa main, il n’aurait point lâché prise…

Fritz s’éveilla en sursaut.

— Je crois que mon lit roule, dit-il d’une voix effrayée ; quelle nuit ! et que de sang j’ai vu depuis le coucher du soleil !

Il tâta les parois de la voiture autour de lui, en grondant des paroles confuses. Puis Jean sentit à l’improviste une main chaude et humide se serrer autour de son cou.

— Ah ! je te tiens ! s’écria Fritz. C’est toi que je vois dans mes songes !… C’est toi qui as rendu ma barbe grise et mis des cendres à la place de mon cœur !… assassin ! assassin !…

Jean se débattait et perdait le souffle.

Les doigts du courrier &e détendirent tout à coup.

— Mais je ne suis pas dans mon lit, grommela-t-il ; je me souviens, nous allons en Allemagne… Il faut boire pour oublier !

Une odeur d’alcool se répandit dans l’intérieur de la rotonde. Fritz garda le silence durant la moitié d’une minute, parce qu’il buvait.

— En voulez-vous ? dit-il avant de reboucher sa bouteille.

La gorge de Jean brûlait ; il tendit sa main dans l’ombre avidement et colla le flacon à ses lèvres. Il but jusqu’à perdre haleine.

En cet instant de faiblesse, l’eau-de-vie lui monta tout d’un coup au cerveau et le jeta hors de sa raison.

Il éclata en un rire insensé.

— C’est vrai, balbutia-t-il, avec cela, on oublie !… Ah ! ah ! qu’avais-je donc à souffrir ?…

— Quand vous aurez tué, dit Frits a voix basse, il vous faudra plus d’une gorgée…

Jean haussa les épaules, et, saisissant au vol les bribes d’une chan-